☰ Menu

Syndrome prémenstruel : Une mise au point

A. Lastrico, A. Andreoli, A. Campana

Résumé

Nous présentons une revue de la recherche dans le domaine du "Syndrome Prémenstruel" (SPM). Six questions sont abordées :

  1. encadrement nosographique,
  2. définition diagnostique,
  3. évaluation clinique,
  4. épidémiologie,
  5. investigation psychobiologique,
  6. progrès thérapeutique.

De nouvelles études viennent d'éclairer ces différents problèmes et un début de consensus s'est dégagé par rapport à ce syndrome controversé. Ces travaux mettent l'accent sur l'importance épidémiologique du SPM, sur la nécessité d'une évaluation diagnostique fiable, sur l'intérêt d'une investigation plus approfondie du carrefour psychobiologique troubles de l'humeur/système neuroendocrinien/SPM. Ces nouvelles perspectives, et leur incidence sur la question du traitement des femmes souffrant de SPM, sont discutées à la lumière de l' expérience clinique et des résultats des recherches conduites par les auteurs.

1. Introduction

L'étude du syndrome prémenstruel (SPM, Greene et Dalton, 1953) présente un grand intérêt, mais elle se heurte à de nombreuses difficultés conceptuelles et méthodologiques. Notre travail a, pour objectif, de résumer les principales questions soulevées par l'investigation clinique de ce trouble.

La démarche de recherche a une importance considérable par rapport à ce type d'affection: importance à la fois pratique, car les troubles recouverts par le SPM sont très fréquents, et théorique, l'étude du SPM ayant contribué au développement de nouveaux outils d'évaluation et de compréhension des maladies dites psychosomatiques.

Dans cet article, nous allons essayer de répondre aux questions suivantes. Dispose-t-on de concepts nosographiques permettant d'encadrer de façon valable les troubles périmenstruels de la femme? Et d'outils fiables pour assurer le diagnostic et l'évaluation clinique du SPM? Quels sont l'épidémiologie et l'impact psychosocial des différentes formes de malaises (distress) prémenstruels de la femme? Peut-on formuler des hypothèses structurées concernant les rapports qui pourraient s'établir entre les cycles biologiques, les facteurs de stress et l'agencement des réactions adaptatives chez une femme donnée? Faut-il traiter le SPM? Et si la réponse est oui, dispose-t-on d'un traitement efficace?

Notre propos rejoint finalement l'objectif d'établir s'il est justifié et faisable de porter plus d'attention à la clinique des SPM, ainsi qu'à l'investigation gynécologique et psychiatrique des troubles présentés par les femmes qui souffrent de malaise périodique pré-périmenstruel.

2. Nosographie du SPM : ou de l'histoire d'un concept à la limite du psychique et du biologique

2.1. Entre Icard et Charcot: les débuts de l'étude clinique du SPM

L'histoire du concept de "Syndrome prémenstruel" retrace l'évolution des connaissances médicales au sujet des rapports entre cycle menstruel, système nerveux central (SNC) et histoire psychoaffective de la femme. En fait, le SPM commence à être reconnu comme une entité nosographique autonome seulement à partir du moment où le concept de SNC s'affirme de façon plus claire. Par l'intermédiaire de ce concept et de l'idée d'intégration centrale du fonctionnement corporel, la médecine pourra bâtir une interprétation scientifique des différents volets (gynécologique, dysthymique, endocrinien, hystérique, etc.) du SPM.

L'idée d'une association entre troubles menstruels et troubles psychologiques est, par contre, très ancienne. Déjà présente dans l'image platonicienne de l'utérus qui ravage l'intérieur de la femme en causant des manifestations hystériques, elle ne sortira pas d'une représentation tout à fait périphérique de l'origine de ces mêmes troubles, et ceci pendant longtemps.

Dans le "De morbis mulierum", la plus importante des oeuvres gynécologiques du "Corpus Hippocraticum" (V-IVe siècle a.C.), l'utérus est ressenti comme "la cause de toutes les maladies des femmes". L'image d'un utérus errant, qui peut se déplacer d'une fois à l'autre jusqu'aux hanches, à la tête, au coeur, aux côtes, au diaphragme, au foie, permet de ramener à un seul cadre nosographique l'étouffement hystérique ("hystérie pnix") et une série très large de symptômes. Comme la notion de Système Nerveux est encore totalement absente, le rôle étiopathogénétique de l'utérus est expliqué, cependant, par une pression mécanique due à une dislocation anatomique (Manuli, 1983) ou par une action "toxique" aspécifique.

L'étude de ces affections va être longtemps entravée non seulement par les limites des connaissances médicales, mais également par de multiples résistances psychologiques. On pense, qu'il y a un "mal féminin", lié à la nature même de la femme, et dont l'"hystérie" serait la forme la plus complète. L'attitude d'un savant aussi respectable que Moebius (1900) montre bien l'ampleur des résistances et des préjugés qui sont mis en jeu par ce problème clinique: "la femme se présente pendant la plupart de sa vie comme un être abnorme....., tout en n'étant pas une véritable maladie, les menstruations et la grossesse troublent profondément l'équilibre mental et portent atteinte à la capacité de discernement et au sens juridique"....

A la fin du siècle dernier, les phénomènes hystériques vont faire l'objet d'un regain d'intérêt (Swain, 1985) qui va de pair avec le progrès rapide de l'anatomie et de la physiologie du SNC. Dans le cadre de l'importance grandissante qui est attribuée, grâce à l'oeuvre de Charcot, aux phénomènes "névrotiques" les troubles prémenstruels sont aussi étudiés de façon plus approfondie.

En 1890, (les "Etudes sur l'hystérie" de S. Freud paraissent en 1893), le psychiatre français S. Icard édite un ouvrage ("La femme pendant la période menstruelle") qui contient une étude clinique détaillée des rapports entre troubles psychiques et cycle menstruel. Icard rapporte de nombreuses observations cliniques et différencie déjà les symptômes essentiels du SPM: "La menstruation s'annonce pendant huit jours par des coliques, des picotements aux seins, des maux de tête. La fille devient méchante, irascible, furieuse à la moindre objection. L'époque terminée, tout rentre dans l'ordre" (1890).

Icard et Charcot sont contemporains et suivent des démarches spéculaires. Charcot se propose d'expliquer des troubles corporels par une supposée vulnérabilité nerveuse de l'hystérique. Icard s'efforce de montrer que des troubles psychiques peuvent résulter d'une "irritation nerveuse" provoquée par la survenue des règles. Tous deux cherchent finalement à développer un modèle psychopathologique qui articule les troubles de la sphère génitale et les troubles du SNC.

La théorie d'Icard trouve, cependant, un prolongement chez les Auteurs qui vont ramener l'origine des troubles prémenstruels à une cause purement "périphérique". A l'instar de Charcot, d'autres chercheurs attribueront par contre les symptômes hystériques à une étiologie "nerveuse" et mettront en cause une agence centrale (SNC, appareil psychique, axe du stress du cerveau) et un effet de "somatisation" qui réduisent la part rôle des règles, ou du trouble de la sphère génitale, à un rôle purement subsidiaire.

Le débat stérile cause centrale/cause périphérique, conséquence d'une vision trop rigide du SNC, a beaucoup entravé le développement d'une collaboration efficace entre psychiatres et gynécologues et plus en général, le progrès de la médecine psychosomatique. Aujourd'hui, par contre, la médecine a développé un modèle beaucoup plus dynamique des relations entre vie de relation, SNC et appareil génital de la femme. Le cerveau a été certes reconnu comme le régulateur des cycles biologiques. Il est aussi apparu, cependant, que les hormones sexuelles et l'expérience émotionnelle jouent un rôle très important dans le développement et la modulation des activités du cerveau, organe dont la structure, et le fonctionnement, se sont avérés infiniment plus souples et complexes que ce que l'on avait imaginé à l'époque de Charcot et d'Icard.

2.2. Frank et le début de l'investigation empirique du SPM

Quelques dizaines d'années plus tard, l'article de Frank "The hormonal causes of premenstrual tension" (1931) marque la véritable entrée du syndrome prémenstruel dans le monde de la recherche médicale.

Dans ce travail, Frank lance le concept de "premenstrual tension", qui a été largement employé jusqu'à nos jours. Frank distingue trois groupes de malades:

  • femmes avec des troubles mineurs (fatigue, irritabilité, absence de concentration, douleurs),
  • femmes avec un malaise assez important pour qu'un handicap évident s'ensuive (femmes qui doivent rester au lit pendant quelques jours en raison de douleurs et/ou qui ne peuvent pas travailler),
  • femmes présentant de graves désordres somato-fonctionnels (épilepsie, asthme), qui se réactivent pendant la période pré-menstruelle.

Frank est le plus connu de toute une série d'auteurs qui ont essayé, au moment où l'endocrinologie moderne a commencé à se développer, d'expliquer l'étiologie des troubles prémenstruels en faisant appel à une élévation du taux circulant de "l'hormone féminine". A cette époque, cependant, les hormones ne pouvaient pas être dosées, le système endocrinien était encore mal connu, on ignorait les mécanismes de régulation des rythmes biologiques par le SNC. Frank n'était donc ni averti de l'extrême complexité des mécanismes étio-pathogénétiques auxquels il faisait appel, ni conscient de l'intrication qui s'établit entre ces derniers et les réactions émotionnelles, ou l'action du stress (dont il tient à nier l'importance). Il aboutit, ainsi, à des choix thérapeutiques aussi discutables que la roentgenthérapie des ovaires. Ce traitement cause, en effet, de "très sévères complications organiques rappelant les symptômes de la ménopause" (Frank, 1931).

2.3 L'interprétation psychosomatique

Quelques années plus tard, les Auteurs de tendance psychanalytique ont largement contribué à mettre en valeur l'importance clinique des troubles périmenstruels. Ces auteurs (pour revue, voir T. Benedek, 1960) ont ramené le syndrome prémenstruel à l'existence d'hypothétiques processus de "somatisation" de conflits psychiques entraînant la conversion des tensions associées à ces derniers en symptômes physiques plus ou moins symboliques.

Dans son livre "Maternité et sexualité", Marie Langer (1951) a décrit des troubles psychiques et somatiques qui apparaîtraient à l'occasion de la menstruation. Selon cet auteur, les caractéristiques de la menstruation, de même que la qualité de l'expérience émotionnelle associées à la survenue des règles, seraient dépendantes de la structure plus ou moins "névrotique" de la personnalité de la femme. Pour une fille normale, les règles et le ménarche seraient vécus comme une réconciliation avec la mère. La fille non névrotique ressentirait la maturité sexuelle comme un cadeau de la mère, qui lui "permettrait ainsi d'avoir des enfants" (Langer, 1951). A cause des complexes dont elle souffre, la femme névrotique, percevrait, par contre, les règles de façon angoissante et culpabilisante.. "L'enfant comprend que le sang sort de l'intérieur du corps. Elle imagine donc la blessure comme quelque chose d'intérieur et pense que le corps de la femme est blessé. Et comme elle imagine qu'il y a des enfants à l'intérieur du corps féminin, l'hémorragie devient à ses yeux la preuve que ses futurs enfants aussi ont été endommagés. Il existe déjà l'idée de la blessure, d'une agression subie par la femme, et, l'organe qui perd du sang étant le génital, la blessure (et ses conséquences catastrophiques) vont être ressenties comme la conséquence d'un acte génital" (Ibidem).

En conclusion, les auteurs d'orientation psychodynamique décrivent le SPM comme l'un des avatars cliniques spécifiques du complexe d'Oedipe et du complexe de castration chez la femme. Mais la psychobiologie du syndrome prémenstruel n'est pas explicité par ce point de vue. Les hypothèses psychosomatiques de M. Langer réduisent les troubles pré-périmenstruels à des phénomènes de type hystérique alors que les symptômes du SPM évoquent davantage la névrose d'angoisse, la dépression ou la maladie somatique proprement dite que les phénomènes de conversion.

T. Benedek a tenté, par contre, de développer un modèle de la complexité, qui tient compte des vulnérabilités spécifiques pouvant sous-tendre les SPM. Pour B., ces troubles seraient à comprendre comme des "névroses récurrentes prémenstruelles".

En 1960, Th. Benedek publie son article princeps: "L'organisation de la pulsion de reproduction". Dans ce travail (qui est issu de sa collaboration avec un gynécologue) elle étudie, à travers l'analyse des rêves, les relations qui s'établissent entre la succession des phases du cycle menstruel et la structure du fonctionnement psychique de la femme. T. Benedek décrit "un cycle psycho-biologique de la femme", à l'intérieur duquel la dimension biologique et la dimension psychologique du cycle sont liées par l'intermédiaire de la notion freudienne de pulsion (c'est-à-dire, une entité à la limite entre somatique et psychique). Le cycle menstruel est vu ainsi comme un processus dynamique caractérisé par des phases périodiques d'intégration (progression) et de désintégration (régression) de la pulsion sexuelle ayant des corrélâts pychologiques et biologiques spécifiques.

Le concept de "névrose récurrente" fait appel, finalement, à un point de vue "néodarwinien" et met en valeur la survie, chez la femme, de vicissitudes de la pulsion sexuelle qui hériteraient des phénomènes observables dans l'oestrus de certains animaux. Th. Benedek fait correspondre la phase folliculaire avec une tendance pulsionnelle dirigée vers l'objet sexuel et visant la gratification par le coït. Quand la production de progestérone commence, dans la phase pré-ovulatoire, on verrait apparaître aussi des tendances passivo-réceptives qui, d'abord, s'intègrent avec la tendance active dirigée vers l'extérieur (au moment de l'ovulation). Ensuite, la pulsion sexuelle rejoindrait le plus haut niveau d'intégration (entre les tendances actives et passives qui la caractérisent) au moment de l'ovulation. On pourrait alors parler d'oestrus, au sens de sommet du cycle sexuel de la femme. Dans la phase progestative, la vie émotionnelle serait dominée, par contre, par des tendances à but passivo-réceptif et de rétention, qui iraient de pair avec la formation du corps jeune et les transformations de l'utérus, qui préparent la femme à une éventuelle maternité. Les changements hormonaux de la phase prémenstruelle s'accompagneraient, enfin, d'un processus de régression à la phase prégénitale et donc, aussi, de désintégration de la pulsion psychosexuelle. Mme Benedek formule l'hypothèse que le déficit relatif d'hormones ovariennes, caractéristique de cette période du cycle, est à la base d'une augmentation de l'irritabilité du système nerveux central favorisant l'apparition de "névroses récurrentes" prémenstruelles chez des femmes prédisposées. Le cycle influencerait donc à la fois la réactivité émotionnelle et le profil psychoneuroendocrinien spécifique d'une femme donnée. Ce "profil", à la fois neuroendocrinien et psycho-émotionnel, serait l'expression finale des caractéristiques particulières du développement psychosexuel de la femme. Chez l'être humain, le cycle menstruel deviendrait en somme un cycle sexuel en suivant un chemin tracé par les avatars des relations entre maturation physiologique et développement psychologique.

2.4. L'émergence des aspects psychosociaux

Le point de vue "psychosomatique" a peu valorisé les facteurs sociaux. On peut, en effet, se demander si les vulnérabilités inscrites dans la psychobiologie du cycle menstruel par les vicissitudes du développement ne constituent pas un problème plus grave dans les sociétés qui confèrent à la femme un rôle plus actif et autonome.

Rose et Abplanalp (1983) ont souligné, par exemple, que la montée de l'intérêt pour le SPM est vraisemblablement en rapport avec l'augmentation de l'impact socio-culturel de ce trouble et le profond changement des habitudes sexuelles des femmes. Au début du siècle, les femmes avaient nettement moins de règles au cours d'une tranche de vie fertile à cause du nombre élevé de grossesses et d'allaitements. De plus, la vie sexuelle de la femme faisait l'objet d'un tabou social très répandu, les troubles de cette dernière étaient plus facilement négligés par le médecin.

L'importance psychosociale des troubles pré-périmenstruels a été reconnue dès les années '50 grâce, en particulier, aux travaux de K. Dalton. Cet auteur a montré que ces affections constituent un facteur de perturbation de l'adaptation sociale. Le SPM diminuerait le rendement des étudiantes à l'école (1960) et serait associé à une augmentation du nombre d'accidents au travail (1960) et de l'activité criminelle (1961).

D'autres auteurs ont confirmé, plus récemment, que le nombre de journées de travail perdues en raison de troubles de type prémenstruel pourrait être très élevé et que l'impact psychosocial de ces mêmes troubles diffère dans les pays industrialisés et dans les pays du tiers-monde.

3. Epidémiologie du SPM

Les études épidémiologiques ont été relativement nombreuses et ont porté: 1) sur la détermination de la prévalence et 2) sur l'étude des associations cliniques du SPM. Les recherches effectuées ont donné, cependant, des résultats fort discordants en raison de problèmes méthodologiques qui étaient en rapport avec:

  • la définition diagnostique du syndrome;
  • l'appréciation des symptômes;
  • le type de population étudiée.

Des travaux plus récents ont permis d'estimer que 3 à 10% de la population féminine en âge de procréer ne présente aucun trouble prémenstruel. 50% des femmes présenteraient un malaise d'intensité modérée et 35% des symptômes qui entraîneraient un certain degré de perturbation de la vie sociale, professionnelle ou familiale. Enfin 5 à 10% des femmes souffriraient d'un syndrome prémenstruel sévère entraînant une perturbation grave de leur vie.

L'étude des relations entre SPM et troubles psychiatriques a commencé à se développer vers 1960. Coppen et Kessel (1963) ont: 1) confirmé l'importance des associations entre troubles psychiatriques et malaise périmenstruel et 2) montré que la prévalence des troubles menstruels est nettement augmentée chez les femmes ayant reçu un diagnostic de "névrose" et, dans une moindre mesure, chez des patientes présentant des troubles anxieux et dépressifs, alors qu'elle était inchangée ou diminuée chez les schizophrènes (exclusion faite pour les femmes souffrant simultanément de dépression). Par rapport aux autres groupes diagnostics, les femmes souffrant de "névrose" présentent plus d'irritabilité, de tension, de nervosité et de dépression, ont plus de difficultés sexuelles et consultent plus fréquemment le médecin pendant la période prémenstruelle. Les Auteurs suggèrent que le SPM pourrait se manifester chez des sujets ayant une tendance à développer des états de "tension", tendance qui résulterait elle-même d'une "anormalité constitutionnelle", pouvant entraîner à la fois des altérations menstruelles et des troubles de la personnalité.

4. Le problème de l'évaluation clinique et diagnostique

Grâce aux études épidémiologiques, il est vite apparu que la médiocre fiabilité des diagnostics psychiatriques et la définition excessivement imprécise et aspécifique des troubles pré-périmenstruels empêchaient de conduire des recherches valables.

Depuis, un effort considérable a été produit dans le but de cerner avec plus de précision la phénoménologie clinique des troubles périmenstruels. Les résultats de ces études ont été longtemps décevants (pour revue, voir: Halbreich et al, 1982; Stout et al, 1986), mais des critères diagnostics et des instruments d'évaluation fiables ont été finalement mis au point.

4.1 L'émergence du concept de Syndrome Prémenstruel

En 1953, R. Greene et K. Dalton ont lancé la notion de "Premenstrual Syndrome" qui va être largement acceptée, pendant plus de trente ans, par la presse spécialisée. Ces auteurs jugent le terme "premenstrual tension" insatisfaisant, parce que la tension n'est que l'un des symptômes pouvant apparaître dans le cadre des troubles prémenstruels. Ils proposent donc de définir ces troubles comme une forme de malaise n'ayant pas un profil symptomatique spécifique. De symptomatique qu'il était, le critère diagnostic fondamental devient, ainsi, chronologique. Greene et Dalton insistent, en effet, sur la notion de "Syndrome Prémenstruel", c'est-à-dire sur le caractère périodique et limité dans le temps de l'affection. Ils mettent également l'accent sur les troubles endocriniens (insuffisance de la sécrétion de progestérone) qui pourraient marquer les femmes souffrant de ce trouble.

4.2 SPM et troubles affectifs

Mc Clure et al. (1971) soulignent eux aussi que l'élément distinctif du SPM est à rechercher dans le caractère périodique et dans les modalités d'apparition des symptômes, et sont les premiers à articuler clairement le SPM et les désordres de l'humeur.

Ces auteurs ont observé qu'il existe une corrélation très nette entre l'émergence de troubles psychiatriques graves (crises maniaques, tentatives de suicide, etc) et la survenue des règles chez des femmes souffrant de troubles affectifs bipolaires. Mc Clure et al. avancent alors l'hypothèse que l'existence d'une vulnérabilité prémenstruelle aux désordres affectifs aurait une valeur diagnostique et pronostique, permettant d'identifier des sous-groupes de patientes bipolaires caractérisés par une évolution plus grave. Un lien est ainsi établi, qui met en valeur les rapports pouvant s'établir entre vulnérabilité affective et perturbation de la sphère génitale à la période prémenstruelle.

Du même coup, le problème du polymorphisme symptomatique du SPM devient moins important. En effet les troubles affectifs sont, par définition, cliniquement polymorphes et se traduisent par des symptômes qui sont à la fois psychiques et physiques. Le SPM peut dès lors être conçu comme l'un des syndromes cliniques issus des multiples cercles vicieux psychobiologiques pouvant s'établir entre désordres affectifs et rythmes biologiques.

On voit alors émerger la notion de syndrome dysphorique prémenstruel, c'est-à-dire la notion d'un syndrome prémenstruel caractérisé par la simultanéité d'un désordre affectif et d'un trouble menstruel et ayant donc une périodicité caractéristique.

4.3 Le trouble dysphorique de la phase lutéale tardive (TDPLT)

Le développement des critères DSM III-R a constitué une avance notable pour l'évaluation et l'investigation clinique du SPM. Rappelons que le DSM III-R décrit, sous la dénomination de "Trouble Dysphorique de la Phase Lutéale Tardive" (TDPLT) une forme spécifique de SPM. Cette catégorie diagnostique met au premier plan:

  1. L'importance de la périodicité du trouble, c'est-à-dire le rapport de celui-ci avec le biorythme du cycle menstruel (d'où l'importance accordée au critère: "survenue, au cours de la plupart des cycles menstruels de l'année précédente, de symptômes pendant la dernière semaine de la phase lutéale et disparition de ces symptômes quelques jours après le début de la phase folliculaire").
  2. La deuxième option forte du DSM III-R est celle de choisir une définition "prototypique" du trouble clinique. A l'instar du trouble panique, de l'anxiété généralisée ou des troubles alimentaires, le critère diagnostique est défini par le repérage d'un éventail de symptômes hautement corrélés et dont un nombre minimum doit être présent. Cette constellation clinique comprend: labilité émotionnelle marquée (crise de larmes, accès soudain de tristesse, d'irritabilité ou de colère); colère ou irritabilité importante et persistante; anxiété ou tension importante, impression d'être "sur les nerfs" ou d'avoir "les nerfs à fleur de peau"; humeur dépressive importante (perte d'espoir, autodépréciation); diminution d'intérêt pour les occupations habituelles (par exemple travail, amis, distractions); fatigabilité ou perte importante d'énergie; difficultés à se concentrer; modification nette de l'appétit, boulimie ou consommation excessive d'aliments particuliers; hypersomnie ou insomnie; autres symptômes physiques, tels que hypersensibilité ou gonflement mammaire, céphalées, douleurs musculaires ou articulaires, prise de poids, sensation d'estomac gonflé. Cette clinique situe le TDPLT au niveau de l'interface troubles de l'humeur/ troubles endocriniens/ troubles hystériques.
  3. Le troisième critère DSM III-R se rapporte à la présence d'un handicap dans les activités sociales pendant la période prémenstruelle. Ce critère est indispensable pour l'arrêt du diagnostic et fait appel à une confirmation par auto-évaluation prospective pendant au moins deux cycles.
  4. Enfin, le quatrième critère concerne les rapports entre le TDPLT et les autres troubles psychiatriques, et plus en particulier, les troubles de l'humeur. Le TDPLT ne doit pas représenter "une exacerbation prémenstruelle" d'un autre trouble psychiatrique, mais peut être surajouté à une dépression majeure, un trouble panique, une dysthymie ou un trouble de la personnalité". Cette dernière affirmation pose, entre autre, le problème de la saisie du devenir longitudinal de la maladie dans le cadre de l'évaluation diagnostique du TDPLT et le problème du diagnostic différentiel TDPLT- TH.

Dans son travail de 1989, Spitzer souligne l'importance de la chronologie du syndrome, confirmée prospectivement, pour classer ce dernier comme une exacerbation ou un désordre autonome. Mais il est déjà apparu qu'il n'est pas facile d'établir ce diagnostic différentiel. La phase prémenstruelle couvre en effet le 25% du cycle et il n'est donc pas facile de distinguer le TDPLT d'un cas de dépression brève récurrente, indépendante du SPM, à moins que cette dernière ne se manifeste toujours à une autre période du cycle. D'autre part, (Ainscough, 1990; Abraham et al., 1990), il est difficile d'évaluer l'importance des troubles de l'humeur secondaires à la menstruation. En effet, il est possible que des conditionnements culturels influencent les modes de représentation de cette dernière.

4.4 Instruments standardisés pour le diagnostic de SPM

Le diagnostic de SPM (Steiner, 1980; Haskett et al, 1983; Rubinow et al., 1984) est peu fiable en raison: a) du caractère changeant et aspécifique des manifestations cliniques qui caractérisent cette affection et b) du manque de fiabilité de l'évaluation subjective rétrospective des troubles périmenstruels. Un effort considérable de recherche a porté, de ce fait, sur la mise au point d'instruments d'évaluation clinique (questionnaires) et de critères diagnostiques standardisés afin de résoudre ces difficultés.

De façon schématique, on peut distinguer deux groupes de questionnaires: les questionnaires rétrospectifs et les questionnaires prospectifs. Les instruments destinés à une évaluation rétrospective (Menstrual Symptom Questionnaire, MSQ; Premenstrual Assessment Form, PAF) tendent à être hyperinclusifs: la quantité des troubles est en général surestimée, le jugement de la patiente étant perturbé par l'inévitable transformation du souvenir. Il y a, d'autre part, des outils prospectifs, tels le Menstrual Distress Questionnaire (MDQ) ou les calendriers d'auto-évaluation que la femme doit remplir tous les jours du cycle pendant un ou plusieurs mois. Cette méthode est beaucoup plus fiable, mais elle a aussi des inconvénients dont il faut tenir compte (compliance limitée, effet placebo pouvant induire des faux positifs).

5. Syndrome prémenstruel et troubles affectifs

Comme on vient de le voir, un accent grandissant a été porté, au cours des dernières années, sur les rapports entre SPM et troubles affectifs. L'identification du prototype TDPLT est le résultat de nombreuses recherches ayant essayé de mieux préciser la nature de cette association.

La période menstruelle a été identifiée depuis longtemps avec un moment de crise émotionnelle caractérisé par des troubles importants de l'humeur et de la vie affective pouvant déboucher sur l'apparition et/ou l'exacerbation de toutes sortes de manifestations pathologiques.

De nombreux travaux expérimentaux avaient aussi montré qu'il existe une augmentation de la mortalité par suicide pendant la période menstruelle (Mc Kinnon and Mc Kinnon, 1956) et une association entre SPM et troubles de l'humeur (pour revue, voir: Coppen, 1965). Plus récemment, l'hypothèse a été avancée que les troubles périmenstruels pourraient marquer l'existence d'une vulnérabilité de type bipolaire (Mc Clure, 1971) ou représenter une forme infraclinique de trouble bipolaire. Schuckit et al. (1975) auraient trouvé 11% de troubles bipolaires (lifetime) parmi des étudiantes souffrant de SPM. Ces résultats sont cependant controversés. En comparant des femmes souffrant de troubles affectifs (critères de Feighner) et des contrôles, Diamont et al (1976) n'auraient pas trouvé de différences au niveau de la régularité des menstruations et de la quantité/gravité des symptômes physiques qui les accompagnent.

D'autres auteurs (Haskett et al, 1984; Steiner et al, 1984) n'ont pas confirmé l'existence d'une prévalence augmentée de troubles bipolaires ou d'autres altérations caractéristiques des rythmes biologiques (sommeil par exemple) chez les sujets souffrant de SPM. Ils ont donc exclu que ces derniers représentent un cas particulier et/ou un modèle pour l'étude de la dépression endogène.

Malgré ces premiers résultats décevants, les rapports entre troubles affectifs et troubles menstruels ont continué de faire l'objet d'un vif intérêt. A partir des années 80, l'étude des relations entre SPM et troubles de l'humeur a été facilitée par l'introduction des méthodologies d'évaluation clinique et diagnostique standardisées. Il a été alors observé que la prévalence du SP diagnostiqué avec le PAF peut atteindre 62% dans des collectifs de femmes présentant des troubles dépressifs majeurs.

En utilisant le PAF, Endicott et al (1981) ont distingué un sous-groupe spécifique de SPM en rapport avec l'existence d'un diagnostic présent ou passé de Trouble dépressif majeur. Quatre autres sous-groupes seraient identifiés, respectivement, par la coexistence de rétention d'eau, malaise général, impulsivité pathologique et difficultés sociales. En utilisant cette classification, Endicott et al (1981) auraient pu confirmer l'existence d'une association significative entre le sous-groupe dépressif du SPM et la présence de Troubles dépressifs majeurs. Cette cohorte de patientes a fait l'objet d'un suivi (Endicott et al, 1986; Halbreich et al, 1983). Les résultats de cette investigation prospective (incidence accrue des troubles affectifs dans le groupe avec SPM et dépression majeure par rapport au groupe de contrôle avec trouble affectif seul) sont nuancés, mais suggèrent que le SPM type dysphorique pourrait représenter une forme atténuée et spécifique de troubles de l'humeur pouvant éventuellement constituer un modèle intéressant pour la recherche (Ibidem).

L'existence d'une association significative entre clinique de la dépression bipolaire/endogène/majeure et SPM a été également suggérée (Halbreich et Endicott, 1985; Endicott et al, 1986) par les résultats d'études prospectives effectuées au moyen de calendriers d'auto-évaluation. Par ailleurs, 57% des femmes avec un diagnostic "lifetime" de trouble dépressif majeur présenteraient un SPM de type dysphorique au PAF, alors que seulement 14% de femmes sans pathologie psychiatrique souffriraient de ce trouble. Réciproquement, 84% de femmes avec SPM type dysphorique au PAF souffrent d'un trouble dépressif majeur (RDC) et seulement 9% ne présentent aucune affection psychiatrique (Halbreich et Endicott, 1985).

Une autre étude prospective (Graze et al, 1990) a comporté un suivi de trois ans. L'existence de SPM à l'entrée dans l'étude prédisait la présence de troubles dépressifs majeurs à l'entretien du suivi. Les corrélations observées étaient indépendantes de la contribution de l'histoire familiale ou de la présence/absence de dépression majeure avant l'entrée dans l'étude (Ibidem).

De Jong et al. (1985) ont également utilisé des méthodes d'investigations prospectives pour vérifier l'hypothèse qu'il pourrait exister un syndrome affectif lié à la période prémenstruelle (SAPM: premenstrually related mood syndrom). Ces auteurs ont étudié 57 femmes (d'âge compris entre 22 et 45 ans) qui avaient été dépistées sur la base d'une histoire antérieure de problèmes d'humeur et de changements physiques pendant la période prémenstruelle. Toutes ces femmes ne prenaient pas de médicaments et avaient été réparties en trois groupes selon le diagnostic psychiatrique (pas de troubles structurés, troubles affectifs, autres troubles). Le diagnostic (prospectif) de SAPM était retenu sur la base des critères établis par l'Institut Américain de la Santé Mentale (PMS NIMH research workshop): augmentation de la gravité des symptômes dysphoriques d'au moins 30% pendant la semaine précédant les règles. Le diagnostic (prospectif) de SAPM type dépressif fut retenu chez 58% des sujets. Quarante-deux femmes n'avaient pas une aggravation significative (>30%) des troubles de l'humeur au moment des règles contrairement à ce qui avait été rétrospectivement indiqué au moment de l'entrée dans l'étude. Les femmes sans confirmation prospective de SAPM étaient plus âgées et avaient, elles aussi, des troubles de l'humeur au cours du suivi, mais ces troubles n'étaient pas liés à la période menstruelle. Contrairement à l'attendu, le diagnostic, à l'entrée dans l'étude, de troubles de l'humeur DSM III, était plus fréquent chez les femmes sans confirmation prospective de SAPM (58% vs 30%). L'étude démentit donc clairement l'hypothèse que toutes les formes de SPM (selon l'acception SAPM) sont l'expression d'un trouble de l'humeur sous-jacent mais ne contredit pas l'hypothèse que le SPM, ou des sous-groupes de SPM, pourraient constituer une forme particulière de trouble affectif.

De Jong et al, (1985) ont souligné que le SPM pourrait "sensibiliser" une femme présentant une vulnérabilité spécifique à la dépression. Réciproquement, un épisode dépressif pourrait "prêter" sa symptomatologie caractéristique à un trouble menstruel.

L'étude de De Jong montre, en somme, la complexité méthodologique de ce type de recherches, et la nécessité de conduire de nouvelles études épidémiologiques prospectives permettant de saisir la prévalence des diverses formes de SPM, ainsi que la fréquence de la comorbidité SPM/troubles dépressifs majeurs. Il apparaît déjà, cependant, que nombre de femmes peuvent souffrir, lors de la période menstruelle, d'une espèce de dépression brève récurrente qui présente, à notre avis, un intérêt clinique et psychobiologique tout à fait considérable sur le plan de l'étude des altérations psychosomatiques et psychoneuroendocriniennes associées aux troubles de l'humeur.

Enfin, Ascher-Svanum et al (1990) ont étudié de façon prospective une large population hospitalière, qu'ils ont suivie pendant une année. Ces auteurs trouvent à nouveau une prévalence significativement accrue de SPM chez les patientes souffrant de troubles affectifs. La prévalence observée est, cependant, inférieure (21% par rapport à 65%) à celle trouvée dans le cadre d'études rétrospectives (Endicott et al, 1981). Peu de relations sont d'ailleurs trouvées entre le diagnostic prospectif de SPM et la gravité de la dépression ou la présence d'une histoire familiale de dépression.

Les troubles alimentaires, et plus particulièrement l'obésité, seraient plus clairement liés au SPM.

En conclusion, il existe sûrement une relation entre SPM et troubles de l'humeur et il est possible que le SPM constitue, lorsqu'il se présente isolé, une forme atténuée ou infraclinique de trouble de l'humeur.

Ces observations renvoient à des investigations plus approfondies et leur valeur reste à prouver. Nous sommes certains, en effet, de pouvoir donner une base biologique et épidémiologique solide à l'encadrement nosographique du SPM et aux rapports que nous venons d'évoquer.

Gitlin et al (1989) et Hartley Gise et al (1990) ont énuméré les principales options présentées dans la littérature à ce sujet: troubles psycho-émotionnels d'origine organique, troubles hystériques de conversion, troubles psychosomatiques issus de phénomènes de somatisation plus complexes, troubles psychiques (Coppen et Kessel, 1963), troubles affectifs majeurs atypiques, troubles liés à une sensibilisation de l'axe du stress (Heilbrun et al, 1989; Schmidt et al, 1990), forme subclinique de troubles affectifs majeurs (Rubinow et al, 1984; Chisholm et al, 1989), SAPM (De Jong et al., 1985) et/ou désordre des rythmes biologiques corrélé aux troubles affectifs saisonniers (Shafii et al , 1990).

Hartley Gise et al admettent finalement une étiopathogenèse polyfactorielle et présentent un portrait type de la femme souffrant de SPM (voir plus loin) à partir des résultats d'études ayant adopté une méthodologie fiable (évaluation prospective, contrôle de fiabilité, instruments valables, etc.). Environ 20% de patientes avec SPM présenteraient ce profil caractéristique.

6. Psychobiologie du SPM

Dans un article de 1982, Endicott et al. avaient clamé le recours à des markers biologiques pour confirmer les données issues des évaluations épidémiologiques. Ce type d'études est difficile à réaliser, tant que nous ne disposons pas de coordonnées cliniques et de paramètres biologiques plus fiables permettant d'identifier, respectivement, le SPM et les différents sous-groupes de trouble de l'humeur.

Il a été proposé d'effectuer ces études sur la base du modèle offert par une dérégulation de la sécrétion de progestérone et cortisol traduisant une sensibilisation de l'axe du stress. Cette hypersensibilité pourrait être liée au cercle vicieux gravité et/ou nombre d'épisodes dépressifs/dérégulation hypothalamo-hypophisaire/SPM/dépression etc. La difficulté d'évaluer les facteurs de stress de façon fiable et la complexité des facteurs neurobiologiques qui sont mis en jeu par de telles hypothèses rendent, cependant, toute approche à cette problématique extrêmement aléatoire.

La notion de SPM fait de plus en plus appel, cependant, à l'intervention de facteurs psychobiologiques capables d'influencer simultanément le SNC et le système génital. Ces facteurs pouvant être semblables à ceux qui sous-tendent la psychobiologie des troubles affectifs, l'étude des rythmes biologiques a un intérêt tout particulier chez la femme qui souffre de ce trouble. Ainsi, Shafii et al. (1990) rapportent des observations de cas de SPM ayant un rythme saisonnier (Tamarkin, 1985; Roy-Byrne et al, 1986). Ces auteurs ont développé un modèle de troubles circadiens, qui permet d'établir quelques relations entre les altérations biologiques décrites dans le SPM et dans la dépression majeure. Ce modèle fait appel au rôle de la mélatonine dans la genèse des troubles de l'humeur et des troubles prémenstruels: Shafii et al. proposent en effet d'étudier la mélatonine en tant que possible "marker" de dérégulation des rythmes circadiens (sommeil, température, cortisol, etc...) dans la dépression et le SPM.

En l'état actuel de nos connaissances, il n'existe cependant que des modèles psychobiologiques hypothétiques du SPM et/ou des relations SPM/troubles de l'humeur. Il n'existe, pour l'instant, pas de données indiquant que les études psychoneuroendocri- nologiques pourront faire évoluer le sujet. Les quelques travaux existants (Haskett et al, 1984; Mortola et al, 1984; Metcalf et al, 1990) font penser que de nouvelles voies d'investigation devraient être recherchées. L'hypothèse que le SPM représente un modèle psychoendocrinien de dépression endogène n'est pas confirmée, en effet, par l'étude des modèles endocriniens classiques de la dépression et de la dérégulation des réponses biologiques au stress (driving hypothalamique du cortisol, prolactine, GH).

7. Thérapie

En général, on s'accorde à penser que l'approche thérapeutique devrait commencer par des moyens non médicamenteux: relation médecin-patiente; information et tenue d'un calendrier quotidien d'auto-évaluation des troubles; conseils hygiéno-diététiques (limiter les stress, évacuer la tension nerveuse, alimentation appropriée, expliquer le problème à l'entourage). En cas de persistance des troubles, on peut envisager une thérapie pharmacologique (Papiernik et al, 1990).

Plusieurs traitements médicamenteux du syndrome prémenstruel ont été proposés jusqu'à présent: les résultats des études en double aveugle, comparés au placebo, sont résumés dans le tableau 1. A noter que le placebo lui-même a montré une efficacité extraordinaire comme moyen thérapeutique de cette pathologie (tableau 2).

8. Conclusion

Comme Hartley Gise et al (1990) l'ont souligné, le profil typique de la patiente souffrant de SPM est celui d'une femme d'âge moyen, cultivée, qui travaille, mariée avec des enfants ou seule, anxieuse et déprimée, avec de nombreux problèmes médicaux et gynécologiques et qui a déjà consulté des psychothérapeutes.

Mais, au-delà d'un profil social et psychologique relativement typé, le SPM reste très difficile à saisir . Maladie aux contours indéfinis, et dont la reconnaissance a été retardée par de puissants facteurs culturels, le SPM nous confronte à des problèmes de coût social, de diagnostic, d'investigations biologiques et de stratégies thérapeutiques, dont nous avons essayé de faire apparaître l'intérêt et la complexité .

Seule la recherche peut apporter des réponses aux questions soulevées par la souffrance indiscutable de ces patientes, questions qui, à bien des égards, réitèrent toutes sortes de défis auxquels la psychiatrie se mesure depuis la période de Charcot. Mais, la recherche est difficile dans ce domaine, et non seulement à cause des problèmes méthodologiques que nous avons largement évoqués. A peu près 50% des patientes avec SPM ont déjà un traitement et bien d'autres doivent être rapidement traitées pour des raisons endocrinologiques, gynécologiques ou psychiatriques. Un nombre encore plus grand est d'un accès difficile à cause de la complexité et de la durée des évaluations nécessaires ou de la sous-estimation dont le SPM fait l'objet auprès de certains cliniciens et des femmes elles-mêmes.

Toutefois, la méthodologie à suivre (diagnostics prospectifs par calendrier, évaluations psychiatriques fiables, etc.) est désormais au point et un champ bien défini d'investigations s'est dessiné à la frontière entre SPM et troubles affectifs. On a mis un accent trop important, toutefois, sur la dépression majeure, alors qu'il conviendrait de mieux définir, dorénavant, les différentes catégories de troubles dépressifs en présence, et plus en particulier, les dépressions périmenstruelles qui remplissent les critères pour les dépressions brèves récurrentes.

Une deuxième direction d'étude porte sur l'évaluation prospective du risque et de la qualité du risque thymique chez des patientes avec diagnostic fiable de SPM. Ce type d'études pourrait représenter également des modèles pour l'évaluation du risque psychosocial en rapport avec le SPM et l'évaluation des résultats du traitement du SPM. Peu d'études rigoureuses de ces problèmes ont été conduites en effet jusqu'à aujourd'hui.

Finalement, le SPM pose le problème de l'investigation d'une limite spécifique du normal et du pathologique. En effet, la menstruation est une sorte de situation "paraphysiologique" où

les facteurs biologiques, et plus particulièrement, les hormones jouent à côté des facteurs émotionnels, culturels et sociaux, un rôle divers selon les conditions de réactivité émotionnelle de la femme, la comorbidité, et l'atmosphère culturelle en présence. C'est pourquoi, l'étude de cette affectation fait appel seule à un modèle de recherche qui tient compte de toute la complexité des réactions adaptatives de l'être humain. L'investigation du SPM nous permet, en somme, de jeter un regard sur la clinique de ces troubles psychiatriques et gynécologiques, qui se caractérisent par une dérégulation conjointe des systèmes biologiques, des réponses au stress, et de la vie émotionnelle de la femme.

Bibliographie

  1. Abraham GE, Hargrove JT, Diagnosis and treatement of PMS, Fertility and Sterility, 1990, 54, 1 : 178-179.
  2. Ainscough CE, Premenstrual emotional changes, a prospective study of symptomatology in normal women, J. Psychosom. Res., 1990, 34, 1 : 35-45.
  3. Ascher-Svanum H, Miller MJ., Premenstrual changes and psychopathology among psychiatric inpatients, Hospital and Community Psychiatr., 1990, 41, 1 : 86-88.
  4. Benedek T, The organisation of the reproductive drive, Int. J. Psychoan., XLI, 1, 1960 : 1-15.
  5. Chisholm G, Jung SOI, Cumming CE, Fox EE, Cumming DC, Premenstrual anxiety and depression: comparison of ocjective psychological tests with a retrospective questionnaire, Ac. Psych. Scand., 1990, 81 : 52-57.
  6. Coppen A, The prevalence of menstrual disorders in psychiatric patients, Br. J. Psychiat., 1965, 111 : 155-167.
  7. Coppen A, Kessel N, Menstruation and personality, Br. J. Psychiat., 1963, 109, 711.
  8. Dalton K, Menstruation and accidents, Br. Med. J., nov. 1960, 12 : 1425-1426.
  9. Dalton K., Schoolgirls' behaviour and menstruation, Br. Med. J., 1960, dec 3 : 1647-1649.
  10. Dalton K., Menstruation and crime, Br. Med. J., dec. 1961, 30 : 1752-1753.
  11. De Jong R, Rubinow DR, Roy-Birne P, Hoban MC, Grover GN, Post RM, Premenstrual mood disorder and psychiatric illness, Am. J. Psychiat., 1985, 142, 11 : 1359-1361.
  12. Diamont SB, Rubinstein AA, Dunner DL, Fieve RR, Menstrual problems in women with primary affective illness, Comprehen. Psychiat., 1976, 17, 4 : 541-548.
  13. Endicott J, Halbreich U, Psychobiology of premenstrual change, Psychopharm. Bull., 1982, 18, 3 : 109-112.
  14. Endicott J, Halbreich U, Schacht S, Nee J, Premenstrual changes and affective disorders, Psychosom. Med., 1981, 43, 6: 519-529.
  15. Endicott J, Nee J, Cohen J, Halbreich U, Premenstrual changes: patterns and correlates of daily ratings, J. Affective Dis., 1986, 10 : 127-135.
  16. Frank RT, The hormonal causes of premenstrual tension, Arch. Neur. Psychiat., 1931, 26 : 1053-1057.
  17. Freud S (1915), Pulsion et destin des pulsions, in Gesamte Werke, vol. IX, 1946 : 210-232.
  18. Gitlin MJ, Pasnau RO, Psychiatric syndroms linked to reproductive function in women, Am, J, Psychiat., 1989, 146, 11: 1413-1422.
  19. Graze KK, Nee J, Endicott J, Premenstrual depression predicts future major depressive disorder, Act. Psychiat. Scand., 1990, 81 : 201-205.
  20. Greene R, Dalton K, The premenstrual syndrome, Br. Med. J., 1953, may 9 : 1007-1014.
  21. Halbreich U, Endicott J, Relationship of dysphoric premenstrual changes to depressive disorders, Act. Psychiat. Scand., 1985, 71 : 331-338.
  22. Halbreich U, Endicott J, Schacht S, Nee J, The diversity of premenstrual changes as reflected in the Premenstrual Assessment Form, Act. Psychiat. Scand, 1982, 65 : 46-65.
  23. Halbreich U, Endicott J, Nee J, Premenstrual depressive changes, Arch. Gen. Psychiat., 1983, 40 : 535-542.
  24. Hartley Gise L, Lebovits AH, Paddison PL, Strain JJ, Issues in the identification of PMS, J. Nerv. Men. Dis., 1990, 178, 4 : 228-234.
  25. Haskett RF, Abplanalp JM, Premenstrual tension syndrom: diagnostic criteria and selection of research subjects, Psychiat. Res., 1983, 9 : 125-138.
  26. Haskett RF, Steiner M, Carroll BJ, A psychoendocrine study of premenstrual tension syndrom, J. Affective Des., 1984, 6: 191-199.
  27. Heilbrun AB, Frank ME, Self-preoccupation and general stress level as sensitizing factors in premenstrual and menstrual distress, J, Psychosom. Res., 1989, 33, 5 : 571-577.
  28. Icard S, La femme pendant la période menstruelle, Alcan F, Paris, 1890.
  29. Langer m, Maternità e sesso (1951), trad. it. Loescher, Torino, 1981.
  30. Manuli P, Donne mascoline, femmine sterili, vergini perpetue, In: Campese S, Manuli P, Sissa G, Sociologia e biologia della donna greca, Torino, Boringhieri, 1983 : 149-192.
  31. Mc Clure JN, Reich T, Wetzel RD, Premenstrual symptoms as an indicator of bipolar affective disorder, Br. J. Psychiat., 1971, 119 : 527-528.
  32. Mc Kinnon PCB, Mc Kinnon IL, Hazards of the menstrual cycle, Br. Med. J., 1956 : 555.
  33. Metcalf MG, Levesey JH, Wells JE, Braiden V, Physical symptom cyclicity in women with and without the premenstrual syndrome, J. Psychosom. Res., 1990, 34, 2 : 203-213.
  34. Moebius JP, L'inferiorità mentale della donna (1900), Torino, Einaudi, 1978.
  35. Mortola JF, Girton L, Yen SSC, Depressive episodes in PMS, Am. J. Obst. Gynec., 1989, 161, 6 : 1682-1687.
  36. Papiernik E, Rozembaum H, Belaisch-Allart J, Gynécologie, Flammarion, Paris, 1990.
  37. Rose RM, Abplanalp JM, The premenstrual syndrome, Hosp. Prac., 1983, 18, 129.
  38. Roy-Byrne P, Rubinow DR, Hoban MC, Parry B, Rosenthal NE, Nurnberger JI, Byrnes S, Premenstrual changes: a comparison of five populations, Psychiat. Res., 1986, 17 : 77-85.
  39. Rubinow DR, Roy-Byrne P, PMS: overview from a methodologic perspective, Am. J. Psychiat, 1984, 141, 2 : 163-172.
  40. Shafii et al M, Shafii et al SL, Melatonin, light therapy, and premenstrual syndrome, In: Biological rythms, mood disorders, ligth therapy and the pineal gland, New York, Am. Psychiat. Press Inc, 1990 : 177-189.
  41. Shaughn O'Brien PM, Premenstrual Syndrome, Blackwell Scientific Publications, Oxford, 1987.
  42. Schmidt PJ, Grover GN, Hoban MC, Rubinow DR, State-dependent alterations in the perception of life events in menstrual-related mood disorders, Am, J, Psychiat., 1990, 147, 2: 230-234.
  43. Schuckit MA, Daly V, Herman G, et al., Premenstrual symptoms and depression in a university population, Dis. Nerv. Syst., 1975, 36 : 516-517.
  44. Spitzer RL, Severino SK, Williams JBW, Parry BL, Late luteal phase dysphoric disorder and DSM-III-R, Am. J. Psychiat., 1989, 146, 7 : 892-897.
  45. Steiner M, Haskett RF, Carroll BJ, Premenstrual tension syndrome: the developpement of research diagnostic criteria and new rating scales, Act. Psychiat. Scand., 1980, 62 : 177-190.
  46. Steiner M, Haskett RF, Carroll BJ, Hays SE, Rubin RT, Circadian hormone secretory profiles in women with severe premenstrual tension syndrome, Br. J. Obst. Gynec., 1984, 91: 466-471.
  47. Stout AL, Grady TA, Steege JF, Blazer DG, George LK, Melville ML, Premenstrual symptoms in black and white community samples, Am. J. Psych., 1986, 143, 11 : 1436-1439.
  48. Swain G, L'anima, la donna, il sesso e il corpo. Metamorfosi dell'isteria alla fine dell'Ottocento, Sanità Scienza Storia, 1985, 1, 213.
  49. Tamarkin L, Baird CJ, Almeida OFX, Melatonin: a coordinating signal for mammalian reproduction?, Science, 1985, 227 : 714-720.

 

Tableau 1. Traitement du syndrome prémenstruel : résultats des études en double aveugle.

  No. d’études  
Traitement T NS P Symptômes améliorés de façon significative par rapport au placebo
Progestatifs 1 7 0  
Contraceptifs oraux 0 0 2  
Bromocriptine 7 3 0 Mastodynie
Antiprostaglandines (acide méfénamique) 5 1 0 Douleurs, dysménorrhée, fatigue
Précurseurs des prostaglandines (huile d'onagre) 1 0 0 Dépression
Danazol 4 0 0 Mastodynie, irritabilité
Analogues de la Gn-RH 3 0 0 Irritabilité, mastodynie, fatigue
Vitamine B6 1 4 0  
Diurétiques 3 4 0 Troubles congestifs, prise de poids
Lithium 0 2 0  
Benzodiazépines (alprazolam) 2 0 0 Irritabilité, anxiété, dépression, fatigue, douleurs abdominales, gonflement, céphalée
Clomipramine 2 0 0 Irritabilité, dépression
Fluoxétine 3 0 0  

T: Traitement plus efficace que le placebo
NS: Pas de différence significative entre traitement et placebo
P: Placebo plus efficace que le traitement

 

Tableau 2. Efficacité du placebo dans le syndrome prémenstruel

Auteurs Efficacité (%)
Magos et al. (1986) 94
Mattson et van Schoultz (1974) 89
Williams et al. (1985) 70
Sampson (1979) 60
Smith (1975) 57
Haspels (1980) 53
Day (1979) 43

(Shaughn O’ Brien, 1987)