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Psychologie Sociale

L’auto-affirmation et un message de prévention non-menaçant
sont-ils des moyens de faire respecter les espaces non-fumeurs?

Nathalie Recordon

Directeur de mémoire : M. Desrichard

RESUME

INTRODUCTION

  • Influence sociale et menace identitaire
  • Menace identitaire et conflit d’identité
  • Conflit intergroupe et conflit identitaire
  • Faire face au conflit identitaire dans une situation d’influence sociale
  • L’affirmation de soi
  • Le type de message
  • Existe-t-il un moyen d’augmenter l’efficacité des messages de prévention ?

METHODE

  • Vue d’ensemble
  • Plan expérimental
  • Sujets
  • Procédure et matériel

RESULTATS

  • Attitude envers le fait de fumer
  • Satisfaction d’être fumeur
  • Envie d’arrêter de fumer
  • Attitude envers le comportement (respect des espaces non-fumeurs)
  • Intention de respecter les espaces non-fumeurs
  • Etude des corrélations entre attitude et intention comportementale 22
  • Norme subjective
  • Perception du message
  • Force du texte
  • Efficacité du texte
  • Menace à l’égard des fumeurs
  • Implication de soi

DISCUSSION  

CONCLUSION  

BIBLIOGRAPHIE  

 

RESUME

Les messages de prévention, de par le fait qu’ils sont stigmatisants et vont à l’encontre du comportement tabagique, engendrent chez le fumeur une menace pour son image personnelle et pour son identité de fumeur. Cela conduit l’individu à se défendre contre ce message en refusant son contenu et fait que le fumeur refuse de prendre en compte les risques qu’implique son comportement (maladies cardio-vasculaires, cancers…). Ainsi, pour augmenter l’efficacité des messages de prévention et donc revaloriser l’image des sujets, Steele (1988) a mis au point la théorie de l’affirmation de soi. Partant de ce point, l’expérience qui va être présentée avait pour but de tester si le fait de s’auto-affirmer et de lire un message non-menaçant au niveau de l’identité du fumeur avait une influence à court et / ou à long terme sur son intention de respecter les espaces non-fumeurs.

Les résultats ont montré que les sujets avaient une attitude moins favorable envers le tabac après les manipulations expérimentales et que ce changement était plus grand chez les fumeurs ayant une forte identité. Par ailleurs, les fumeurs ayant une forte identité se sentent moins menacés par le message que ceux ayant une faible identité et l’auto-affirmation réduit l’efficacité perçue du message. En outre, le message non-menaçant et l’auto-affirmation provoquent une moindre envie d’arrêter de fumer. Au niveau de l’intention de respecter les espaces non-fumeurs, il apparaît que les sujets augmentent leur intention comportementale à court terme, mais pas à long terme. L’étude nous permet donc de mettre en évidence que la théorie de l’affirmation de soi ne s’avère pas très concluante dans le domaine du tabagisme. Enfin, nous terminons en ajoutant que pour que les espaces fumeurs soient réellement respectés, il faut que les normes et valeurs de la société changent.

INTRODUCTION

Actuellement, le développement de l’industrie du tabac, qui rajoute de nombreuses substances toxiques dans les cigarettes afin de rendre les fumeurs encore plus dépendants (Wigand 2000), a contribué à donner du tabac l’image d’un véritable fléau. En effet, le tabac est le seul produit qui tue la moitié de ses consommateurs réguliers (WHO 1997). Il renferme plus de 600 substances chimiques différentes, dont beaucoup (acétone, formol, ammoniac, …) ont été rajoutées dans les cigarettes afin de faciliter et maintenir la dépendance (Wigand 2000). Parmi ces substances, 40 au moins sont toxiques et susceptibles de provoquer des cancers. Les principaux effets toxiques proviennent de la nicotine (qui engendre la dépendance), du monoxyde de carbone (qui empêche l’alimentation des muscles en oxygène) et du goudron (contenant un grand nombre de substances toxiques dont les particules se collent aux bronches et aux poumons). D’après l’OMS, la nicotine est une drogue entraînant une dépendance aussi forte, voire plus, que des drogues comme l’héroïne ou la cocaïne (WHO 1997). Par ailleurs, l’industrie du tabac est toujours à la conquête de nouveaux marchés. Ainsi, dans les pays où la publicité est réglementée ou interdite, elle contourne les lois en orientant ses messages au travers de publicités pour les vêtements, par exemple, et en parrainant des événements culturels et sportifs. Dans les pays où la publicité sur le tabac est autorisée, les annonces télévisées transmettent des images faites de charme sophistiqué, d’attirance physique, de haut niveau social, de romance et de richesse (Cunningham 1996). Une recherche effectuée par la Banque Mondiale (WHO 1997) a évalué que la consommation de tabac entraînait une perte nette mondiale de 200 milliards de dollars par an, comprenant les soins médicaux directement liés aux maladies dues au tabac, l’absentéisme des employés, les pertes dues aux incendies, la réduction de la productivité et la perte de revenus due à une mortalité précoce. Le tabac constitue un facteur de risque pour plus d’une vingtaine de maladies (cancer du poumon, de l’estomac, maladies cardiovasculaires…). Certaines estimations indiquent qu’il est responsable d’environ 7,5 % du total des décès (soit environ 4 millions de morts par année) et, si rien ne change pour éradiquer ce fléau, il est prévu que ce chiffre passera à 10 % d’ici 2030 (WHO 1999). Selon les estimations de l’OMS, à peu près le tiers de la population mondiale âgée de 15 ans et plus fume, soit : 47 % des hommes et 12 % des femmes. Cependant, ces chiffres sont en constant changement puisque le nombre de femmes fumeuses est en augmentation alors que le nombre d’hommes fumeurs est en baisse dans les pays développés. Selon Cunningham (1996), les responsables des décès dus au tabac sont surtout les techniques de commercialisation utilisées par l’industrie du tabac et son opposition à tout effort visant à décourager les fumeurs. Cependant, le manque de fermeté des gouvernements dans de nombreux pays n’est pas à négliger. Chaque Etat a les moyens de réduire la consommation de tabac ou du moins de freiner son augmentation, mais la plupart restent inactifs. D’après de nombreux économistes, un des moyens les plus efficaces pour diminuer le fléau serait une augmentation des taxes. Ainsi, selon une étude réalisée par l’OMS (WHO 1997), une augmentation de 10 % du prix réel du paquet de cigarettes entraînerait une baisse de 2 à 8 % de la consommation (et une diminution de plus de 10 % chez les adolescents). Il est donc fondamental, pour lutter contre le tabagisme, que les campagnes dépassent le cadre du secteur de la santé pour être considérées comme une des priorités politiques et économiques de tout pays.

N’ayant pas les moyens d’agir à de tels niveaux, nous nous contenterons de chercher à comprendre les mécanismes psycho-sociaux qui poussent les individus à fumer et tenterons de trouver un moyen de modifier les comportements tabagiques.

Influence sociale et menace identitaire

Le fait de fumer est une valeur importante pour le fumeur (Falomir 1996) puisqu’il contribue à définir son image personnelle. Ainsi, le fumeur, de par son comportement (consommation de tabac) appartient au groupe des fumeurs par opposition à celui des non-fumeurs. Malgré le contexte social actuel qui discrimine le groupe des fumeurs, il existe de nombreux facteurs incitant le fumeur à garder son comportement. Parmi les facteurs internes, on peut citer : la dépendance à la nicotine, le bénéfice que le fumeur retire du tabac (le plaisir de fumer) qui est, pour lui, au moins aussi important que le risque encouru, le fait qu’à court terme, l’individu n’a pas peur des effets négatifs du tabac, l’habitude de fumer, les normes personnelles… Le fumeur est également soumis à des facteurs externes, comme la pression sociale (Chassin, Presson, Sherman 1990) et le sentiment d’appartenance au groupe des fumeurs. Toute tentative visant à lui faire modifier son attitude et son comportement envers le tabac, suffit à engendrer chez le fumeur une menace identitaire (Falomir, Mugny, Pérez 2000). En effet, le fumeur se trouve dans une position socialement stigmatisée du fait de ses faibles légitimité (fumer est mauvais pour la santé) et norme sociale (il est socialement valorisé de ne pas fumer). Par ailleurs, il est conscient des effets négatifs du tabac et donc partage avec le hors-groupe (les non-fumeurs) cette image négative des fumeurs (Echebarria, Fernandez, Gonzalez 1994). Ainsi, il est la cible de campagnes anti-tabac visant non seulement à lui faire changer de comportement, mais également d’identité. Se trouvant dans un contexte social menaçant son identité, le fumeur peut, afin de faire face à cette menace, accepter le point de vue anti-tabac (donc reconnaître la critique envers son identité). En conséquence, pour adopter une identité plus valorisée, il lui faut internaliser les positions de la source anti-tabac. Cela constitue un moyen possible pour le fumeur de restaurer une image de soi positive. L’acquisition d’une nouvelle identité (celle de non-fumeur) obtenue par le changement d’attitudes et de comportements, permet donc d’échapper à la mauvaise attribution de l’ancienne identité (celle de fumeur).

Menace identitaire et conflit d’identité

Face à une source menaçant son identité de fumeur, l’individu ne sera pas forcément motivé à changer de comportement. En effet, son identité et le comportement qui lui est associé s’inscrivent dans une certaine stabilité temporelle (le fumeur fume depuis X années et appartient donc depuis ce temps au groupe des fumeurs). Il sera, par conséquent, poussé à préserver son comportement et les attitudes qui lui sont associées. De plus, la forte identification à son groupe d’appartenance sera un frein à la mobilité sociale de l’individu (Turner 1995). Dans ce cas, le fumeur ne sera pas motivé à changer de comportement et d’identité (donc à arrêter de fumer), mais fera de la résistance au changement (Falomir, Invernizzi 1999). Face aux campagnes anti-tabac qui stigmatisent son identité, il est possible que l’individu ait envie de défendre son identité menacée. Cette défense identitaire peut être motivée si le fumeur apparente le contenu de la menace à des caractéristiques saillantes de la relation sociale. C’est-à-dire s’il associe (ou confond) ce qui relève de la source et ce qui concerne le contenu, à savoir s’il n’envisage le contenu de la menace (message anti-tabac) qu’en termes de qui l’avance (le hors-groupe, celui des non-fumeurs). L’influence sera donc inhibée car le fumeur répondra en terme de conflit identitaire (Falomir et al. 2000). Ce type de conflit se caractérise par une préservation de ses attitudes et comportements initiaux et par une activation de stratégies visant à défendre son identité. De ce fait, une tentative d’influence pour pousser le fumeur à modifier ses comportements et attitudes engendre chez lui une menace pour son identité. L’individu se trouve donc dans un conflit opposant ses attitudes et comportements à sa relation avec la source d’influence, ce qui le poussera, plutôt que de l’abandonner, à défendre son identité. La prise de décision d’arrêter de fumer, donc de changer de comportement, sera inhibée par le conflit identitaire. Il existe deux éléments du contexte d’influence sociale qui peuvent déterminer la nature du conflit : la relation entre les groupes présents dans ce contexte et la relation d’influence entre la source et la cible.

Conflit intergroupe et conflit identitaire

De par son comportement, le fumeur se trouve dans la catégorie stigmatisée des fumeurs par opposition à celle socialement valorisée des non-fumeurs, ce qui rend saillant le conflit intergroupe. De ce fait, le fumeur se trouve motivé à répondre à cette menace envers son identité par un conflit identitaire. Ce type de conflit lui permettra de préserver et de protéger son identité actuelle. Echebarria et al. (1994) ont mis en évidence ce fonctionnement dans une étude dont le contexte renforçait la catégorisation entre fumeurs et non-fumeurs (les fumeurs étaient minoritaires et donc stigmatisés). Les résultats ont montré que dans ce type de contexte social, les fumeurs augmentaient leur motivation défensive donc défendaient ou protégeaient leur identité menacée en maintenant leur comportement en faveur du tabac. Par ailleurs, le lien que fait le fumeur entre la menace pour son identité et la tentative d’influence elle-même peut produire chez lui un conflit identitaire. En effet, le fumeur considérera la source d’influence comme la cause réelle de la menace identitaire ce qui le poussera à opter pour une stratégie de protection de son identité (Falomir et al. 2000). Cela se passe surtout lorsque la source a un haut statut social, est majoritaire ou dominante. Ainsi, lorsque la relation d’influence est saillante, le fumeur traitera de manière biaisée les informations (la source est contre les fumeurs donc ce qu’elle dit est faux ou les fumeurs ne se sentent pas concernés pour différentes raisons) dans un désir de défendre ses valeurs et croyances.

Faire face au conflit identitaire dans une situation d’influence sociale

La situation d’influence est particulière du fait que l’identité de la cible d’influence (le fumeur) est socialement menacée et que les éléments du contexte font que le conflit avec l’identité du fumeur va être reconnu (le fumeur fait partie d’une catégorie stigmatisée et sera en conflit avec la catégorie à laquelle appartient la source). Ainsi, le moyen d’éviter l’activation d’un conflit identitaire serait de permettre aux fumeurs de répondre en fonction de la menace envers leur identité, mais sans les conduire à relier cette menace aux caractéristiques du contexte d’influence (Falomir et al. 2000). Cela est possible si le fumeur est capable de mettre en place une certaine autonomie et indépendance vis-à-vis d’une source de haut statut. Cette prise d’autonomie peut être réalisée par le biais d’un processus d’affirmation de soi (Steele 1988) qui réduirait la contrainte persuasive associée à l’inégalité de la relation source – cible dans le contexte d’influence.

L’affirmation de soi

Steele (1988) propose l’existence d’un système de soi expliquant essentiellement le soi et le monde. Son but est de maintenir adaptée, compétente, stable, capable de choix et de contrôle l’image que l’on a de soi. Lorsque l’individu fume, il y a inconsistance ou dissonance entre ses actes (le fait de fumer) et la réalité (le tabac provoque des maladies cardio-vasculaires et augmente les risques de cancer). Cette inconsistance menace l’intégrité de soi puisqu’elle montre que l’individu (le fumeur) est incapable de contrôler un comportement important pour lui. Le fumeur sera donc tenté de traiter de façon biaisée les informations en essayant de rationaliser son comportement. Il se considérera comme une exception par rapport aux autres fumeurs, c’est-à-dire comme n’étant pas un fumeur typique et ne faisant donc pas partie de la population à risque (optimisme comparatif : Weinstein 1980). Dans ce cas, les campagnes anti-tabac n’auront que peu d’impact étant donné que le fumeur refuse de se considérer comme potentiellement à risque ; ainsi, il se protégera des propos menaçant son intégrité par le refus et la défense, continuant par conséquent à fumer. Afin de contrer l’effet défensif et le refus qu’engendrent les messages anti-tabac, Steele (1988) a mis en place une théorie basée sur l’affirmation de soi. Ainsi, pour réduire l’inconsistance entre le comportement et la menace et restaurer l’intégrité de soi, il faut affirmer son intégrité générale. Cette théorie de l’affirmation de soi apparaît donc comme un moyen d’augmenter l’efficacité des campagnes de prévention par le biais d’une revalorisation de l’image de soi, ce qui permet de réduire la force défensive de l’individu cible du message et d’augmenter son acceptation des risques dus à son comportement. Dans de nombreuses études (Steele, Liu 1981 ; Steele 1988 ; Sherman, Nelson, Steele 2000), il a été montré que le simple fait d’affirmer une valeur importante (même sans aucun rapport avec le sujet traité, Steele et Liu 1983) pour l’individu permet au sujet de réduire la dissonance qu’il ressent et de restaurer son intégrité. Une fois son image de soi revalorisée, le fumeur se sentira moins menacé par le message allant à l’encontre de son comportement et sera moins enclin à se défendre et par conséquent plus à même d’accepter le message (et donc d’arrêter ou de réduire sa consommation de tabac). Ainsi, les campagnes de prévention ne menacent pas l’image de soi du sujet (puisque celle-ci a été revalorisée par le biais de la procédure d’affirmation de soi), mais seul le comportement est menacé. Ce qui donne la possibilité à l’individu de modifier son comportement à risque et lui permettra de réduire la dissonance entre son comportement et la réalité. Dans une étude portant sur la prévention du Sida, Sherman et al. (2000) demandaient à des étudiants leur attitude envers le Sida et leur risque personnel face à cette maladie. Les sujets étaient ensuite invités à écrire un essai soit sur une valeur qu’ils jugeaient très importante pour eux (condition de self-affirmation), soit sur une valeur peu importante (condition sans affirmation). Après quoi, ils visionnaient une vidéo dans laquelle des acteurs séropositifs racontaient leur façon de vivre avec cette maladie. Les résultats ont montré que les sujets à qui l’on donnait l’opportunité de s’auto-affirmer percevaient davantage le risque de contracter la maladie et avaient plus de comportements préventifs que ceux n’ayant pas pu affirmer une valeur importante pour eux. Dans une autre étude, les mêmes auteurs (Sherman et al. 2000) soumettaient des femmes étant soit de fortes, soit faibles consommatrices de café à un article prônant un lien entre la consommation de caféine et le cancer du sein. Leurs résultats montrent que les femmes fortes consommatrices rejettent plus l’information que les autres, mais que, lorsqu’elles ont eu la possibilité de s’auto-affirmer, elles acceptent le contenu de l’article et changent leur comportement de façon positive.

Le type de message

Au niveau du type de message, de nombreuses études ont montré que les messages non-menaçants engendraient plus de modifications comportementales que ceux menaçant l’individu. Dans une étude, Falomir et Mugny (1999) ont testé l’effet de différents messages persuasifs anti-tabac sur les fumeurs. Ainsi, les fumeurs étaient soumis, soit à un texte flexible au ton conciliant (non menaçant), soit à un texte rigide au ton intransigeant (menaçant). Il s’avère que le texte non-menaçant engendre davantage de changements positifs dans l’intention d’arrêter de fumer que le texte menaçant qui lui, provoque des changements négatifs. Face à un message flexible, les sujets sont plus d’accord avec le contenu du message, ont une image moins favorable du tabac et davantage l’intention d’arrêter de fumer que face à un message rigide. Cela démontre que le fumeur adopte une attitude défensive dès qu’il perçoit qu’un message anti-tabac menace son identité. Une autre étude, réalisée par Greenberg (1994), est arrivée aux mêmes conclusions. On testait l’influence de deux types de messages sur l’acceptation par les salariés fumeurs de la mise en place d’espaces fumeurs au sein de leur entreprise. Les résultats montrent clairement qu’un message persuasif respectueux envers les fumeurs et contenant un grand nombre d’informations augmente le degré d’acceptation des sujets par opposition à un message pauvre au niveau informationnel et se souciant peu du bien-être des fumeurs.

Existe-t-il un moyen d’augmenter l’efficacité des messages de prévention ?

Le but des campagnes anti-tabac est de faire prendre conscience aux fumeurs du risque qu’ils encourent et donc de leur faire changer de comportement. Le problème est qu’ils ont souvent tendance à refuser l’information anti-tabac et sont motivés à défendre leur identité menacée par les sources d’influence. Mais l’on vient de voir que le fait d’affirmer une valeur importante pour soi ou de lire un message non menaçant (prônant un comportement inverse à celui du sujet) peut rendre l’individu plus à même d’accepter un message allant à l’encontre de son comportement. Ainsi, il semblerait intéressant de coupler ces deux découvertes et de les appliquer au domaine de la lutte anti-tabac. On peut émettre l’hypothèse que les fumeurs à qui l’on donne l’opportunité de s’auto-affirmer et qui ont à lire un message ne menaçant pas leur identité seront moins tentés de refuser le message, se percevront comme plus à risque et seront par conséquent plus aptes à modifier leur comportement en faveur d’un comportement plus adapté (arrêter de fumer).

METHODE

Vue d’ensemble

L’expérience qui va être présentée avait pour but de tester si le fait de s’auto-affirmer et de lire un message anti-tabac non-menaçant au niveau de l’identité du fumeur avait une influence à court et / ou à long terme sur son intention de respecter les espaces non-fumeurs. Pour ce, les fumeurs lisaient une affiche anti-tabac qui était soit menaçante, soit non menaçante pour leur identité. Puis, ils devaient soit affirmer une valeur importante pour eux (condition d’affirmation de soi), soit une valeur qui avait peu d’importance (condition sans affirmation). L’on s’attend à ce que les fumeurs aient davantage l’intention de respecter les espaces non-fumeurs lorsqu’ils ont la possibilité de s’auto-affirmer que lorsqu’ils ne l’ont pas. En outre, ils devraient être plus enclins à respecter les espaces non-fumeurs lorsqu’ils sont confrontés à un message ne menaçant pas leur identité que lorsqu’ils sont face à un message la menaçant. Enfin, l’influence (immédiate et différée) du message devrait être supérieure quand les sujets sont en condition d’affirmation de soi et que le message n’est pas menaçant qu’en condition sans affirmation de soi avec message menaçant. En outre, d’une manière générale, il est attendu que les sujets ayant une forte identité de fumeurs soient moins sensibles au message persuasif et donc changent moins leurs intentions comportementales que les sujets à faible identité de fumeurs (Sherman et al. 2000 ; Falomir, Invernizzi 1999).

Plan expérimental

Il s’agit d’un plan expérimental 2 (avec vs sans self-affirmation) x 2 (message menaçant vs non menaçant) x 2 (forte vs faible identité de fumeur). Ces trois variables indépendantes sont intersujet. La troisième variable, l’identité des fumeurs, est invoquée et a été obtenue par la prise en compte de différentes caractéristiques définissant l’identité de fumeurs : le sentiment d’être fumeur, le fait de se considérer comme un fumeur typique, l’identification aux autres fumeurs (cf. Falomir, Invernizzi 1999) et le nombre de cigarettes consommées (α de Cronbach : .79). Le type d’identité est obtenu par le biais d’un split à la médiane ; les sujets se trouvant au-dessus ont une forte identité et ceux se trouvant au-dessous une faible. La mesure principale est le changement dans l’intention de respecter les espaces non-fumeurs. Elle a été obtenue en mesurant la différence entre l’intention de respecter les espaces non-fumeurs avant le message persuasif et la manipulation de l’affirmation de soi et après (échelle continue de 1 “pas du tout” à 7 “tout à fait”). Cette mesure du changement d’intentions a été effectuée deux fois, la première immédiatement après le message et la manipulation expérimentale et la seconde fois deux semaines plus tard.

Sujets

100 étudiants fumeurs (93 femmes et 7 hommes) de Deug et de Licence de psychologie ont participé à la première phase de l’expérience, mais 83 sujets seulement ont continué et participé à la seconde phase. Ils étaient âgés de 17 à 40 ans (âge moyen 20,46). En moyenne, ils ont commencé à fumer à 16 ans et fument 10,5 cigarettes par jour. 13 % d’entre eux n’ont jamais pensé à réduire leur niveau de consommation et 87 % y ont déjà pensé. 65 % des sujets ont déjà essayé d’arrêter de fumer et ont tenu 76 jours en moyenne.

Procédure et matériel

Les passations collectives se sont déroulées à l’université de Chambéry à raison d’une vingtaine de minutes pour la première partie et d’une dizaine de minutes pour la seconde. Le questionnaire était constitué de neuf pages. Les sujets devaient d’abord lire quelques instructions sur le déroulement de l’expérience puis répondaient à quelques questions d’ordre personnel (sexe, âge actuel, âge auquel ils ont commencé à fumer, niveau de consommation, tentative de réduction de ce niveau…). Ils répondaient ensuite à des questions (échelles en 7 points : 1 “pas du tout” et 7 “tout à fait”) sur leur identification au groupe des fumeurs (sentiment d’être réellement fumeur, d’être un fumeur typique…), sur leur attitude envers le fait de fumer (aimer fumer, importance de ce comportement…), sur la satisfaction d’être fumeur, sur leur envie d’arrêter de fumer (capacité à arrêter, envie de changer de comportement). D’autres questions portaient davantage sur le comportement que l’on désirait modifier, soit le fait de fumer dans les espaces non-fumeurs. On évaluait leur attitude envers le comportement (probabilité et importance de fumer dans les espaces non-fumeurs), la norme subjective (croyance que les autres ont du comportement et motivation à se conformer aux opinions d’autrui…) et enfin, l’intention comportementale (intention de respecter les espaces non-fumeurs, capacité de ne pas fumer dans ces zones…). Ensuite, on demandait aux sujets de classer sept valeurs selon l’ordre d’importance qu’elles pouvaient avoir pour eux. Les sept valeurs étaient les suivantes : la religion, les voyages, la culture, la politique, les relations familiales et amicales, le sport et le travail.

Manipulation du message : les sujets devaient lire une affiche attribuée à la campagne « pour le respect des espaces fumeurs et non-fumeurs ». La première moitié des sujets lisaient une affiche non-menaçante comprenant une image sous laquelle il était écrit « chacun son espace » et un texte insistant sur les droits des fumeurs d’avoir un endroit qui leur est propre. La seconde moitié des sujets lisait une affiche menaçante comportant une image sous laquelle était écrit « les fumeurs gênent les non-fumeurs » et un texte insistant sur les effets néfastes du tabac et le non respect des fumeurs vis-à-vis d’autrui. La conclusion des deux messages était cependant la même, à savoir que les fumeurs respectent les non-fumeurs et aillent fumer dehors.

Manipulation de l’affirmation de soi : On demandait à la moitié des sujets d’écrire un court essai sur la valeur qu’ils avaient jugée la plus importante parmi les sept valeurs disponibles précédemment et à l’autre moitié des sujets, on demandait de traiter de la valeur qu’ils avaient jugée la moins importante.

Après quoi, les sujets devaient répondre à quelques questions sur l’affiche qu’ils avaient lue. On évaluait sur une échelle de 1 “pas du tout” à 7 “tout à fait” la force du texte (pouvoir convaincant, objectivité des arguments…), la menace envers les fumeurs (l’affiche critique-t-elle les fumeurs, leur porte-t-elle atteinte ?), l’implication de soi (l’affiche porte-t-elle atteinte à votre image, vous implique-t-elle ?…), la prise de conscience (l’affiche vous a-t-elle fait prendre conscience de l’existence d’espaces non-fumeurs ?) et l’efficacité du message (degré d’accord envers les conclusions du message, l’affiche peut-elle vous conduire à respecter les espaces non-fumeurs ?). Enfin, les sujets devaient répondre aux mêmes questions qu’au début du questionnaire sur : leur identification au groupe des fumeurs, la norme subjective, l’envie d’arrêter de fumer, la satisfaction d’être fumeur, l’attitude envers le fait de fumer, l’attitude envers le fait de fumer dans les espaces non-fumeurs et l’intention de ne pas fumer dans ces espaces.

Deux semaines plus tard s’effectuait la seconde phase destinée à mesurer l’effet à long terme du type de message (menaçant vs non) et de la condition (avec vs sans affirmation de soi). Les sujets devaient d’abord brièvement exposer en quoi consistait le message présenté deux semaines auparavant puis répondaient aux mêmes questions qu’au tout début et à la fin du questionnaire précédent, à savoir des questions sur leur identification au groupe des fumeurs, la norme subjective, l’envie d’arrêter de fumer, la satisfaction d’être fumeur, l’attitude envers le fait de fumer, l’attitude envers le fait de fumer dans les espaces non-fumeurs et l’intention de ne pas fumer dans ces espaces. Pour finir, on leur expliquait en quoi consistait l’expérience.

RESULTATS

Attitude envers le fait de fumer

Ce facteur est composé des réponses aux trois questions suivantes : “Aimez-vous fumer ?”, “le fait de fumer est-il important pour vous ?” et “Avez-vous du plaisir à fumer ?” Une analyse de variance a été faite pour évaluer les changements entre le pré-test et les différents post-tests. Les résultats montrent un changement significatif entre les trois phases (F 2 ; 158 = 76,594 p<.0001). Ce changement n’est cependant pas significatif entre le pré-test et le post-test immédiat (F 1 ; 92 = 0,834 p =.3634), mais l’est entre le pré-test et le post-test différé (F 1 ; 79 = 110,895 p<.0001) et l’est également entre les deux post-tests (F 1 ; 79 = 91,867 p<.0001). Les analyses réalisées présentent un effet significatif du type d’identité pour les trois phases (F 1 ; 79 = 17,28 p<.0001). Les sujets ayant une forte identité de fumeur sont plus favorables envers le fait de fumer (M = 5,48 pour les trois mesures) que ceux qui en ont une faible (M = 4,73 pour les trois phases).

Figure 1 : Changements dans l’attitude envers le fait de fumer entre les trois phases en fonction du type d’identité (lettres différentes : p<.001 Newman-Keuls).

L’Anova effectuée sur les trois phases met en avant un changement significatif au niveau du type d’identité (F 2 ; 158 = 9,934 p<.0001). Comme l’illustre la figure 1, les fumeurs modifient positivement leur attitude envers le fait de fumer, c’est-à-dire qu’ils sont moins positifs envers le tabac au post-test différé et ce, quelle que soit leur identité, mais ceux ayant une forte identité changent davantage (M = 5,88 au pré-test, M = 5,74 au post-test immédiat et M = 4,82 au post-test différé) que ceux à faible identité (M = 4,88 au pré-test, M = 4,89 à la mesure immédiate et M = 4,42 au post-test différé).

Satisfaction d’être fumeur Ce facteur comprend les réponses aux deux questions suivantes : “Etes-vous satisfait d’être fumeur ?” et “«Etre fumeur » vous satisfait-il ?” Bien que l’analyse de variance ait mis en évidence des effets significatifs, il n’est pas possible de les prendre en compte étant donné qu’au pré-test déjà, les groupes n’étaient pas homogènes. Envie d’arrêter de fumer Ce facteur comprend les réponses à deux questions : “Aimeriez-vous arrêter de fumer ?” et “Vous sentez-vous capable d’arrêter de fumer ?”. Une Anova a été réalisée pour mettre en évidence les changements entre les différentes phases du questionnaire. Il apparaît un effet significatif du changement entre le pré-test et le post-test immédiat (F 1 ; 92 = 4,143 p<.05), les sujets changent négativement leur envie d’arrêter de fumer puisqu’ils ont moins envie de changer de comportement au post-test (M = 4,60) qu’au pré-test (M = 4,72). Les résultats montrent également un effet d’interaction significatif entre le type d’identité et l’affirmation de soi (F 1 ; 92 = 6,806 p = .01). Cependant, le test de Newman-Keuls réalisé pour comparer les différentes moyennes ne met en évidence aucun résultat intéressant.

Figure 2 : changements dans l’envie d’arrêter de fumer entre le pré-test et le post-test immédiat en fonction du message non-menaçant et de l’affirmation de soi (lettres différentes : p<.025 au test Newman-Keuls)

Une interaction significative entre le type de message et l’affirmation de soi est mise en évidence (F 1 ; 92 = 13,272 p<.0005) entre le pré-test et le post-test immédiat. Comme le montre la figure 2, face à un message non-menaçant, les sujets ont moins envie d’arrêter de fumer quand ils se sont affirmés (M = 4,86 au pré-test vs M = 4,32 au post-test p<.025) que quand ils ne l’ont pas fait (M = 4,4 au pré-test vs M =4,52 au post-test ns.). Face à un message menaçant, les sujets ne modifient pas leur envie d’arrêter de fumer entre les deux phases qu’ils s’affirment ou non. Si l’on regarde l’effet à long terme, on remarque que les sujets changent significativement entre le pré-test et le second post-test (F 1 ; 79 = 6,44 p<.05) mais, puisque le résultat du post-test différé est le même que celui du premier post-test, cela montre que l’effet se maintient à long terme.

Attitude envers le comportement (respect des espaces non-fumeurs) Ce facteur regroupe les réponses aux questions suivantes : “Est-il important pour vous de fumer dans les espaces non-fumeurs ?” et “Est-il agréable de fumer dans les espaces non-fumeurs ?”. L’Anova réalisée pour mesurer les changements entre le pré-test et les post-tests ne montre aucune modification significative (F 2 ; 158 = 0,218 p=.8047). Les analyses effectuées sur le pré-test montrent un effet significatif de l’affirmation de soi et une interaction significative entre le type de message et l’affirmation, ce qui fait que ces mêmes effets significatifs trouvés aux post-tests ne seront pas pris en considération, les groupes étant non équivalents dès le départ.

Intention de respecter les espaces non-fumeurs Ce facteur rassemble les réponses à trois questions : “Avez-vous l’intention de respecter les espaces non-fumeurs ?”, “Avez-vous l’intention d’arrêter de fumer dans les espaces non-fumeurs ?” et “Avez-vous l’intention d’aller fumer dehors dans le domaine universitaire ?”.

Figure 3 : Changements dans l’intention de respecter les espaces non-fumeurs entre le pré-test et le post-test immédiat (p<.05).

Comme l’illustre la figure ci-dessus, l’Anova faite pour estimer les changements entre les différentes mesures montre un changement significatif seulement entre le pré-test et le post-test immédiat (F 1 ; 92 = 5,555 p<.05). Les fumeurs ont donc davantage l’intention de respecter les espaces non-fumeurs au post-test (M = 5,96) qu’au pré-test (M = 5,76).

Etude des corrélations entre attitude et intention comportementale Moins les sujets ont une attitude favorable envers le fait de fumer dans les espaces non-fumeurs, plus ils ont l’intention de respecter ces espaces (r = -.219 p<.05 au pré-test, r = -.39 p<.0005 au post-test immédiat et r = -.229 p<.05 à la mesure différée). Les corrélations entre attitudes et intentions comportementales réalisées toutes phases confondues en fonction du type d’identité montrent un effet significatif de l’identité forte (r = -.494 p<.0001). Lorsque les sujets ont une forte identité de fumeurs, moins ils ont une attitude favorable envers le fait de fumer dans les espaces non-fumeurs, plus ils ont l’intention de respecter ces espaces. Cependant, lorsqu’ils ont une faible identité, les corrélations sont non significatives (r = -.09 p = .556).

Norme subjective Ce facteur est composé des réponses aux questions suivantes : “Vos amis aiment-ils que vous fumiez ?”, “Les opinions de vos amis sont-elles importantes pour vous ?” et “Votre famille aime-t-elle que vous fumiez ?”, “Avez-vous tendance à vous conformer à ce que pense votre famille ?”. L’Anova réalisée sur les trois phases montre que les sujets ont significativement varié dans leurs opinions (F 2 ; 184 = 65,749 p<.0001). Les résultats augmentent au premier post-test (M = 3,24 vs M = 3,13 pour le pré-test) et baissent au post-test différé (M = 2,14). Ce qui signifie que les fumeurs jugent la pression sociale plus forte au post-test immédiat qu’au post-test différé. L’analyse met également en évidence une interaction significative entre les trois variables en fonction des différentes phases (F 2 ; 184 = 3,342 p < .05).

Perception du message Force du texte Ce facteur regroupe les réponses aux questions suivantes : l’affiche “est-elle convaincante ?”, “dit-elle des choses justes ?”, “apporte-t-elle des arguments faux ?”, “est-elle objective ?” et “est-elle crédible ?” (α de Cronbach : .45). L’analyse de variance réalisée montre un effet tendanciel du type d’identité (F 1 ; 92 = 3,819 p =.0537), les fumeurs ayant une forte identité ont tendance à percevoir l’affiche comme plus convaincante et objective que les fumeurs à faible identité (M = 5,41 et M = 5,85). Les résultats mettent en évidence un effet significatif de l’affirmation de soi (F 1 ; 92 = 5,473 p <.05). Ainsi, les sujets qui n’ont pas affirmé une valeur importante pour eux perçoivent le message comme plus convaincant et juste (M = 5,88) que ceux en condition d’affirmation de soi (M = 5,38). Au niveau des interactions, aucune n’est significative.

Efficacité du texte Le facteur comprend les réponses aux questions : l’affiche “peut-elle vous conduire à respecter les espaces non-fumeurs ?” et “Etes-vous d’accord avec les conclusions du message : il faut respecter les espaces fumeurs et non-fumeurs ?”

Figure 4 : Perception de l’efficacité du texte en fonction de l’affirmation de soi (p<.05).

L’Anova indique un effet significatif de l’affirmation de soi (F 1 ; 92 = 4,214 p<.05). Comme le montre la figure quatre, les fumeurs qui se sont affirmés perçoivent l’affiche comme moins efficace, donc sont moins d’accord avec ses conclusions que ceux qui n’ont pas affirmé une valeur importante pour eux (M = 6,21 et M = 5,79).

Menace à l’égard des fumeurs Ce facteur se compose des réponses à ces questions : l’affiche “porte-t-elle atteinte aux fumeurs ?”, “menace-t-elle les fumeurs ?”, “est-elle favorable aux fumeurs ?”, “critique-t-elle les fumeurs ?” et “respecte-t-elle les fumeurs ?” (α de Cronbach : . 59).

Figure 5 : Perception de menace envers les fumeurs en fonction du type d’identité (p<.05).

L’analyse de variance présente un effet significatif du type d’identité (F 1 ; 92 = 4,784 p <.05). Comme le met en lumière la figure ci-dessus, les fumeurs ayant une forte identité jugent que l’affiche les menace moins que les fumeurs ayant une faible identité (M = 3,05 et M = 3,85). Au niveau du type de message, un effet significatif a été mis en évidence (F 1 ; 92 = 38,617 p<.0001). Ainsi, le message menaçant a bien été davantage jugé comme tel que le message non-menaçant (M = 4,18 et M = 2,63).

Implication de soi Ce facteur comprend les réponses aux questions suivantes : l’affiche “vous concerne-t-elle ?”, “porte-t-elle atteinte à votre image personnelle ?” et “vous sentez-vous impliqué par son contenu ?” (α de Cronbach : . 62). L’Anova montre un effet tendanciel du type d’identité (F 1 ; 92 = 2,968 p = 0883). Les fumeurs ayant une forte identité ont tendance à se sentir davantage concernés (M = 3,68) que ceux ayant une faible identité (M = 3,14).

Prise de conscience Ce facteur est la réponse à la question : l’affiche “vous a-t-elle fait prendre conscience de l’existence d’espaces fumeurs et non-fumeurs ?”. Aucun effet significatif n’a été trouvé pour cette dimension.

DISCUSSION

Les résultats ont montré que la manipulation du type de message avait bien fonctionné, puisque le message menaçant était davantage considéré comme tel que le message non-menaçant. Au niveau de l’affirmation de soi, il s’est avéré que les sujets qui se sont auto-affirmés jugent l’affiche moins convaincante, crédible et efficace que les fumeurs de l’autre condition. A ce propos, aucune hypothèse n’était clairement formulée au départ, cependant, on se serait attendu à ce que le fait de s’auto-affirmer pousse les sujets à considérer l’affiche comme plus convaincante et crédible, puisque, comme l’ont montré différentes recherches (Steele 1988, Sherman et al. 2000), l’auto-affirmation devrait réduire l’effet défensif et le refus qu’engendre en général les messages de prévention au niveau de la santé.

L’analyse des résultats a fait apparaître une interaction entre le type de message et l’affirmation de soi. Ainsi, au post-test immédiat, les sujets ayant lu l’affiche non-menaçante ont moins envie d’arrêter de fumer lorsqu’ils se trouvent en condition d’affirmation qu’en condition sans auto-affirmation. Cependant, quand le message est menaçant, les sujets ont tout autant envie d’arrêter de fumer qu’ils soient en condition avec ou sans affirmation. Ces résultats vont à l’encontre de nos attentes ; en effet, l’on aurait plutôt envisagé des résultats contraires (c’est-à-dire que l’affiche non-menaçante et l’affirmation de soi provoqueraient davantage une envie d’arrêter de fumer), puisque le fait de s’auto-affirmer engendre plus de changements comportementaux que le fait de ne pas s’affirmer (Sherman et al. 2000) et qu’un message non-menaçant provoque chez les sujets une plus grande intention d’arrêter de fumer qu’un message menaçant (Falomir, Mugny 1999).

Concernant le type d’identité, les fumeurs ayant une forte identité se sentent moins menacés par le message que ceux qui ont une faible identité, ce qui montre qu’ils font preuve d’un certain refus de prendre en compte le point de vue de la source et va donc dans le sens de notre hypothèse de départ (Falomir, Invernizzi 1999). Cependant, ils considèrent l’affiche comme étant plus objective et convaincante que les fumeurs à faible identité, ce qui montre qu’ils ne rejettent pas le message allant à l’encontre de leur comportement. Ces résultats peuvent être expliqués en disant que les fumeurs à forte identité estiment davantage le pouvoir convaincant et objectif de l’affiche du fait qu’ils se sentent moins menacés par elle. Ainsi, puisqu’ils «refusent d’avouer » que le message menace leur identité, ils se montrent cohérents en le considérant comme juste et convaincant. Pour les fumeurs à faible identité, les résultats sont inversés et s’expliquent donc par le fonctionnement cognitif inverse. Par ailleurs, les résultats mettent en évidence que les fumeurs à forte identité changent plus leur attitude envers une vision plus négative du tabac que les fumeurs ayant une faible identité. Néanmoins, ils gardent, et ce quelles que soient les phases, une attitude plus favorable envers le tabac que les fumeurs à faible identité, ce qui va dans le sens de l’hypothèse de départ.

Au niveau des changements à court et long terme, toutes variables confondues, les résultats montrent qu’après les manipulations expérimentales, les sujets ont moins envie d’arrêter de fumer et cet effet est valable aussi bien à court qu’à long terme. L’attitude envers le fait de fumer se montre moins favorable à long terme, alors qu’elle est la même avant la manipulation et à court terme. Ces deux résultats peuvent paraître contradictoires. En effet, on aurait pu s’attendre à ce que le fait d’être défavorable au tabac engendre une augmentation de la volonté de changer de comportement, alors que tel n’est pas le cas. Quant à la norme subjective, celle-ci augmente à court terme et diminue à long terme, ce qui fait que les fumeurs se sentent moins sujets à la pression sociale à long terme, donc accordent moins d’importance aux opinions de leur proches concernant le fait de fumer en général et le fait de fumer dans les espaces non-fumeurs. Enfin, à court terme, les sujets ont davantage l’intention de respecter les espaces non-fumeurs. Ce changement entre les deux phases du questionnaire n’étant pas dû aux variables manipulées dans notre étude, on peut émettre l’hypothèse que peut-être le fait d’attirer l’attention des fumeurs sur l’existence et le respect des espaces non-fumeurs (et ce quel que soit le type de message) les conduit à avoir davantage l’intention de respecter ces espaces.

Au vu des résultats, il s’avère que l’auto-affirmation n’est pas un moyen d’augmenter l’efficacité du message préventif, ce qui va donc à l’encontre de la théorie de Steele (1988). En effet, cette théorie postule que le fait d’affirmer une valeur importante pour l’individu est un moyen de restaurer son image personnelle positive après que celle-ci a été ébranlée par un message préventif menaçant. Le fait que cette théorie ne fonctionne pas dans la présente étude peut s’expliquer de deux manières : la première est que l’affirmation de soi permet d’augmenter l’acceptation de messages préventifs au niveau du Sida et du cancer du sein (Sherman et al. 2000 ; Reed, Aspinwall 1998), mais qu’au niveau du tabac, cela ne fonctionne pas et ce pour diverses raisons (ancrage dans le temps de l’habitude de fumer, conflit identitaire provoqué par le message préventif, d’où refus de modifier son comportement). La seconde explication plausible se situe plus du point de vue méthodologique de l’étude. Ainsi, le fait d’écrire un essai sur la valeur que le sujet a jugé la moins importante (condition sans affirmation dans le cas présent) permet d’une certaine manière au fumeur de s’affirmer. En effet, par le biais de l’écriture, il peut donner son avis sur un sujet (même inintéressant pour lui), ce qui lui donne l’impression d’avoir une certaine liberté malgré le contexte d’influence. Bien qu’une étude (Steele et al. 1983) ait montré que le fait d’affirmer une valeur n’ayant aucun rapport avec le message persuasif soit aussi efficace que d’affirmer une valeur ayant un rapport, il semble dans le cas de notre étude que le fait d’écrire un essai en faveur du tabac aurait permis d’obtenir des résultats différents. Effectivement, une série d’expériences réalisées par Mugny (1999) a montré que les fumeurs avaient plus l’intention d’arrêter de fumer lorsqu’on leur donnait la possibilité de défendre leur identité de fumeur en contre-argumentant le message anti-tabac ou en développant des arguments en faveur du tabac plutôt que contre. Par ailleurs, dans la présente étude, nous n’avons pas vérifié la manipulation de l’affirmation de soi. Une expérience réalisée par Sherman et al. (2000) a mesuré, avant et après la manipulation de l’affirmation de soi, l’humeur des sujets qui s’est avérée être meilleure au post-test chez les individus de la condition avec affirmation de soi que chez ceux de l’autre condition. Au niveau du message, le fait d’ajouter une condition contrôle comprenant seulement les deux types de message sans la manipulation de l’affirmation de soi aurait permis de mesurer l’impact des messages et certainement d’obtenir des résultats allant dans le sens de ceux trouvés dans la littérature, à savoir une plus grande efficacité des messages non-menaçants par opposition aux menaçants.

Pour en revenir à un point de vue plus général sur l’état des campagnes au niveau du tabac, des études ont montré que les campagnes de prévention orientées sur la pratique et l’entraînement étaient plus efficaces que celles basées uniquement sur l’information. Leventhal et Cleary (1980) ont souligné que le fait de donner des instructions spécifiques aux sujets leur permettant de contrôler leur comportement tabagique, et ce que le message soit menaçant ou non, provoquait une réduction de la consommation de cigarettes valable à long terme. Allant dans le même sens, Janis et Mann (1968) ont montré que le jeu de rôle permettait l’intériorisation d’une position contraire à la sienne, puisque les fumeurs ont bien compris le message des campagnes de prévention mais ne l’ont pas intériorisé. Dans une de leurs études, ils ont mis au point un jeu de rôle émotionnel dans lequel les fumeurs devaient jouer le rôle d’une personne apprenant par son médecin qu’elle était atteinte d’un cancer des poumons. Le but de ce scénario était de convaincre les personnes de moins fumer et les résultats montrent que leur consommation a diminué de moitié après le jeu de rôle et que l’influence persistait toujours dix-huit mois plus tard.

Un autre moyen de rendre les campagnes préventives plus puissantes, serait la récurrence des informations d’un point de vue médiatique. En effet, petit à petit, à force d’être confrontés à des messages anti-tabac, on peut supposer que les fumeurs en viendront à considérer le tabac de manière plus négative que positive. Ainsi, si chaque jour, ils sont confrontés à un message persuasif différent montrant à chaque fois un inconvénient supplémentaire à l’usage du tabac (coût au niveau de la santé, composition des cigarettes, effets du produit sur différents organes, manipulation de la part des entreprises de tabac…), peut-être que cela contribuerait à modifier les normes de valorisation du tabac (surtout valables chez les jeunes).

CONCLUSION

L’expérience réalisée nous a permis de nous rendre compte que la théorie de l’affirmation de soi développée par Steele (1988) ne s’appliquait pas au domaine du tabagisme. Un message préventif engendre chez le fumeur une menace identitaire qui provoque chez lui un conflit et le pousse à conserver son comportement. On s’attendait donc à ce que la procédure d’affirmation de soi empêche l’émergence du conflit identitaire mais tel n’a pas été le cas. Pour de futures recherches il serait intéressant de se pencher sur le nombre de cigarettes consommées par les sujets qui pourrait apparaître comme un plus grand prédicteur de l’intention de respecter les espaces non-fumeurs que l’identité des sujets. Par ailleurs, il serait intéressant d’évaluer l’estime de soi des fumeurs, puisqu’il a été montré que les individus ayant une forte estime d’eux-mêmes ont moins besoin de s’auto-affirmer que ceux en ayant une faible (Steele, Spencer, Lynch 1993). Enfin, il pourrait être utile de mesurer l’état émotif des sujets avant et après le message persuasif et ce, pour vérifier la manipulation de l’affirmation de soi.

Il a été mis en évidence (Leventhal et al. 1980) que les individus prennent la décision d’arrêter de fumer non seulement parce qu’ils ont plus peur qu’avant des conséquences dues au tabac, mais aussi parce qu’ils pensent qu’ils retireront plus de bénéfice en arrêtant de fumer qu’en continuant. Les campagnes de prévention devraient donc ancrer leur recherches dans ce sens, à savoir trouver un moyen de donner aux fumeurs l’envie de changer d’identité pour devenir non-fumeurs. Néanmoins, l’efficacité des campagnes anti-tabac restera limitée tant que des efforts intensifs pour changer les valeurs et normes au niveau des groupes et sociétés ne seront pas entrepris (Leventhal et al. 1980). Ce changement au niveau des normes de la société a déjà été fait aux Etats-Unis où les espaces non-fumeurs sont respectés et où les gens vont donc fumer dehors, mais n’a pas encore eu lieu en Europe.

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