Psychologie et Ethique médicales, Anthropologie Culturelle des Soins
Jean-Gilles Boula
Chargé de Recherche
Fondation Genevoise pour la Formation et la Recherche Médicales
Introduction
Discipline composite, la psychologie médicale étudie les diverses facettes de la vie psychique des individus en état de maladie. Les leçons de la psychologie sociale l’incitent à examiner de plus près les modifications induites par la maladie (somatique ou psychique) dans le fonctionnement mental, ainsi que le retentissement de l’état psychologique sur le devenir de la maladie elle-même, c’est-à-dire l’étape psychosomatique, car la maladie met en jeu (à l’exception des affections aiguës) non seulement le processus morbide, mais l’acceptation ou la résistance du malade, son optimisme ou ses craintes, la qualité des relations qui s’établissent entre lui-même et le médecin ou l’infirmier(ère). Il est désormais admis que le comportement dans la maladie met également en évidence les difficultés suivantes : l’exaltation du moi, le rétrécissement du champ des intérêts, la dépendance, l’alternance entre soumission et tyrannie. Les aspects interpersonnels ne passent pas non plus inaperçus en tant qu’ils s’expriment dans l’attitude à l’égard du médecin, des soignants en règle générale (attachement, hostilité) ainsi que dans les interactions avec l’entourage. Nous pensons que la prise de conscience par les médecins et les infirmiers du contexte psychologique, révélé ou caché, est d’une très grande importance pour la conduite de la cure. Si le mot « maladie » semble être le seul dans le langage courant à dire ce dont souffre le patient, celui-ci se décline en anglais selon trois vocables qui constituent trois orientations caractérisées de la prise en charge du patient : « disease » renvoie à l’aspect biomédical, à proprement parler, de la maladie, « illness » à l’éprouvé psychologique de celle-ci, « sickness » à son statut social. Agrégés ensemble, ces trois aspects disent avec beaucoup d’acuité leur perméabilité et leur porosité, sans qu’il soit possible de les séparer. Privilégier un aspect par rapport à l’autre constituerait une forme de mutilation de l’acte de soigner.
À cette dimension médicale et psychologique, s’ajoute bien évidemment l’aspect éthique sous forme d’interrogation permanente sur le bien fondé des décisions que les soignants, médecins, infirmières et infirmiers, sont amenés à prendre : « qu’est-ce qui est désirable, préférable, faisable, pourquoi (en un mot) et pour quoi (en deux mot), en vue de quoi ? », un faisceau d’interrogations qui nous semble constituer et baliser l’art de soigner. Et s’il est nécessaire de s'intéresser à la relation soignant / soigné, l’exercice professionnel du rôle de soignant, les relations au sein d’une équipe de soignants, les effets de la structure organisationnelle des institutions de soins, sont aussi à prendre en compte, car ils conditionnent directement ou indirectement le bien-être ou le mal-être du personnel soignant, la relation soignant / soigné, ainsi que l’image que l’institution donne d'elle-même.
Il est vrai qu’être malade, somatiquement ou psychiquement, ne peut se concevoir sans l’assise culturelle dont se réclament les membres d’une communauté sociale donnée. Cette évidence atteste la nécessité du regard anthropologique dans les soins. En effet, s’agissant des populations européennes et extra-européennes, être malade est tout à la foi une indication du sens que le patient accorde aux causes de sa maladie, aux effets de celle-ci, et une mise en abîme du corps dans ce qui fondamentalement l’habite, le meut et le soutient dans son existence d’homme. Il s’agit, pour les soignants, de reconnaître la prégnance des patrimoines culturels sur le devenir et de la maladie et des malades eux-mêmes. Que cette perspective anthropologique vienne à être négligée, la souffrance humaine est ainsi délestée de son efficacité symbolique et éthique quant au devenir et à l'existence du patient.
Psychologie médicale, éthique, et regard anthropologique combinés constituent à l’évidence le socle incontournable d’une prise en charge humanisée des patients dans les soins médicaux, et attestent, à travers la perméabilité entre ces trois aspects, l’entreprise du « prendre soin » dans son acception la plus large.