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Carence en oestrogènes et santé osseuse

René Rizzoli, Brigitte Uebelhart, Jean-Philippe Bonjour
Division des Maladies Osseuses, Département de Médecine Interne
Hôpital cantonal universitaire, 1211 Genève 14

Chez la femme, l’évolution de la masse osseuse est en relation étroite avec les oestrogènes. Ils agissent sur l'os dès la puberté, conditionnent l'acquisition du capital maximal de masse osseuse, permettent son maintien pendant toute la durée de l'activité génitale, et leur carence conduit à une perte osseuse après la ménopause

Introduction

Si l'espérance de vie de la femme était, au milieu du siècle dernier, inférieure à 50 ans, une femme occidentale peut aujourd'hui espérer atteindre l'âge de 80 ans, voire plus. En revanche, l'âge de la ménopause n'a pas été réellement modifié. Une femme, aujourd'hui, peut envisager de passer environ 30 ans, soit le tiers de sa vie, en état de ménopause. Par ailleurs, la sensibilité de l'os à la perte des hormones sexuelles a été reconnue il y a plus de cinquante ans par ALBRIGHT qui remarqua une association entre ostéoporose et ménopause.

Physiopathologie de la perte osseuse en carence oestrogénique

La carence oestrogénique est responsable d'une augmentation de la vitesse du remodelage osseux et induit un déséquilibre entre résorption et formation, conduisant à une perte osseuse nette, et potentiellement à une ostéoporose. Diverses cytokines sont impliquées dans la résorption osseuse, en facilitant le recrutement et la maturation des précurseurs des ostéoclastes. Ces cytokines sont produites en excès par les monocytes du sang périphérique de femmes ménopausées, et par des cellules de moelle osseuse provenant de rattes ovariectomisées; cet effet est annulé par la substitution oestrogénique. Tout en ayant des preuves de l'implication et de l'interaction de cytokines telles que le TNF-alpha, l'interleukine-1 et l'interleukine-6, dans les mécanismes complexes du remodelage osseux, le TNF-alpha semble être suffisant à lui seul pour observer l'augmentation du remodelage osseux qui survient lors de la carence oestrogénique. Les oestrogènes semblent agir en modulant la production de ces différentes cytokines et la carence oestrogénique pourrait accélérer la résorption osseuse par le biais de leur augmentation.

L'ostéoporose et ses complications

Du fait de l'accélération du remodelage osseux, et du découplage entre formation et résorption, la carence oestrogénique semble être la cause principale de l'ostéoporose chez la femme à partir de la 5ème décennie, et ainsi être directement impliquée dans l'augmentation de l'incidence des fractures par fragilité osseuse liée à l'âge. L'expression la plus dramatique de l'ostéoporose est la fracture du fémur proximal. Si cette fracture est inhabituelle avant 65 ans, son incidence augmente exponentiellement à partir de cet âge et tout au long de la vie. L'incidence de la fracture de la hanche ne dépend pas seulement de la masse ou de l'architecture osseuse, mais aussi du risque de chutes. Néanmoins, la résistance de l'os est directement proportionnelle à sa masse et il existe une corrélation inverse entre l'incidence de la fracture de la hanche et le contenu minéral osseux du fémur proximal. Les fractures du col du fémur sont responsables d'une augmentation de la mortalité et de handicaps prolongés justifiant des séjours en centres hospitaliers ou de rééducation responsables du large coût attribué à l'ostéoporose. Une autre fracture ostéoporotique qui affecte fréquemment la femme ménopausée est le tassement vertébral. Celui-ci conduit à un handicap permanent à cause de la douleur. Il est responsable de désordres digestifs et respiratoires résultant de la déformation thoracique. De plus, les changements physiques créent une image négative de soi-même et affectent sévèrement la qualité de vie.

Diagnostic de l'ostéoporose : mesure de la masse osseuse

Plusieurs conférences de consensus ainsi qu'un groupe de travail de l'Organisation Mondiale de la Santé ont permis d'établir une définition de l'ostéoporose comme étant une maladie systémique touchant le squelette et caractérisée par une masse osseuse basse, ainsi qu'une détérioration de la micro-architecture du tissu osseux avec comme conséquences, une augmentation de la fragilité osseuse et une susceptibilité accrue aux fractures. Ainsi, le diagnostic de la maladie est basé sur l'évaluation quantitative de la masse osseuse qui, jusqu'à ce jour, est le meilleur déterminant mesurable de la résistance osseuse et la meilleure prédiction du risque de fracture ostéoporotique. Par ailleurs, l'expression clinique de l'ostéoporose qu'est la fracture, apparaît comme une complication et non plus comme un paramètre diagnostique. L'absorptiométrie biphotonique à rayons X (DXA) est maintenant validée pour la mesure de densité osseuse, aussi bien aux deux sites squelettiques particulièrement touchés par le risque de fracture que sont la colonne lombaire et le fémur proximal, mais aussi au niveau d'autres sites potentiellement fracturaires tel que l'avant-bras. Cette technique fournit une estimation de la densité minérale osseuse de surface, qui intègre en partie la taille de l'os, son épaisseur ainsi que sa vraie densité volumique. Un groupe d'experts de l'OMS a proposé comme critère diagnostique de l'ostéoporose la limite de 2,5 DS en-dessous de la valeur moyenne établie chez de jeunes  individus  sains  du  même  sexe.  Les techniques quantitatives ultrasoniques  (QUS) sont également prometteuses dans l'évaluation de la masse osseuse et du risque fracturaire. Les avantages de ce type d’instruments sont un coût réduit et un transport facile, mais l'on ne connaît pas actuellement son utilité pour le suivi. L'évaluation clinique des facteurs de risque de l'ostéoporose ou biologique du remodelage osseux par les marqueurs biochimiques sanguins et urinaires, ne peut en aucun cas se substituer à la mesure directe de la masse osseuse pour établir le diagnostic d'ostéoporose.

Efficacité du traitement hormonal substitutif

Les hormones sexuelles féminines sont reconnues depuis longtemps comme des moyens efficaces pour soulager les symptômes climatériques et plus récemment, pour protéger de la morbidité et de la mortalité cardio-vasculaires. Concernant la prévention de l'ostéoporose, de nombreuses études contrôlées et randomisées ont montré que le traitement hormonal substitutif protégeait contre la perte osseuse post-ménopausique. L'effet protecteur persiste aussi longtemps que le traitement est maintenu. Cet effet favorable n'est pas limité à la période post-ménopausique immédiate, puisque l'os garde sa sensibilité aux oestrogènes de façon indépendante de l'âge. Enfin, des études cliniques ont montré une réduction importante de l'incidence des fractures de la hanche, des vertèbres ou du poignet sous traitement hormonal substitutif. Quoi qu'il en soit, les effets indésirables ne doivent pas être oubliés. Bien que l'augmentation du risque de cancer de l'endomètre induit par les oestrogènes puisse être totalement négativée par un traitement progestatif intermittent ou continu, d'autres obstacles empêchent une large acceptabilité. Il s'agit d'une possible, bien que faible, augmentation du risque du cancer du sein, de la crainte d'une prise de poids, de réapparition de saignements menstruels ou de symptômes prémenstruels telles que les tensions mammaires. Les chiffres de prévalence à l'égard du traitement hormonal substitutif chez les femmes ménopausées varient de 3 à 47 %. Par ailleurs, l’observance thérapeutique est faible pour les substitutions à long terme, dans la mesure où les avantages immédiats perçus par les femmes ménopausées sont en rapport avec le contrôle des symptômes climatériques qui se comptent volontiers en mois, alors que l'effet osseux, pour être significatif, doit se compter en années. Une alternative au traitement hormonal substitutif efficace sur le plan osseux est représentée par les bisphosphonates. Dans le futur, des analogues des oestrogènes capables d'inhiber la perte osseuse et de réduire le taux du cholestérol sanguin à des doses sans effet prolifératif sur l'endomètre ou sur le tissu mammaire pourraient, sous réserve d'être aussi efficaces que les oestrogènes naturels pour soulager les symptômes climatériques, être également une alternative intéressante.

Dépistage des masses osseuses basses et prévention de la perte osseuse post-ménopausique (cf. algorythme)

Afin de privilégier des stratégies préventives, il serait préférable de dépister les masses osseuses basses au début de la phase d'accélération de la perte osseuse, c'est-à-dire au cours des 5 premières années suivant la ménopause. Ce dépistage systématique n'aurait bien entendu pas de raison d'être chez la femme ménopausée qui a choisi de prendre pendant une longue période un traitement hormonal substitutif, ou chez la femme qui, en dépit d'une information appropriée et de conseils de professionnels, refuserait toute thérapeutique. En revanche, déterminer les valeurs de masse osseuse qui révèlent une ostéoporose ou une ostéopénie (l'ostéopénie est définie par les critères de l'OMS entre -1 et -2.5 déviations standards en-dessous du pic de masse osseuse), peut être un argument d'instauration d'un traitement anti-ostéoporotique chez des femmes indécises. Des marqueurs biochimiques du remodelage osseux au-dessus de la limite supérieure des valeurs normales des femmes préménopausées, ainsi que la présence de facteurs de risque cliniques pour l'ostéoporose (une fracture atraumatique antérieure, une corticothérapie, un traitement hormonal thyroïdien à doses suppressives, une malabsorption), pourraient également être des arguments en faveur de la prise d'un traitement hormonal substitutif.

* Par rapport au pic de masse osseuse

Conclusion

En pratique, l'oestrogénothérapie substitutive est le traitement de choix à envisager en première intention comme prévention de la perte osseuse post-ménopausique, ou comme stratégie curative d'une ostéoporose diagnostiquée par la mesure de la densité minérale osseuse.

Pour en savoir plus

  1. Rizzoli R, Bonjour JP. Hormones and bones. Lancet 1997; 349  : S120-S123.
  2. Kanis JA., Devogelaer JP, Gennari C. Practical guide for the use of bone mineral measurements in the assesment of treatment of osteoporosis: a position paper of the European  Foundation  for  Osteoporosis  and  Bone  Diseases.  Osteoporosis  Int  1996;  6 : 256-61.
  3. Lindsay R, Tohme JF. Estrogen treatment of patients with established post-menopausal osteoporosis. Obstet Gynecol 1990; 76 : 290-5.